A la recherche du féminin perdu
Ouvrages PréfacesPartir à la recherche du féminin perdu, c’est remonter aux origines de l’Humanité, traverser les époques, se nourrir de visions ou de traditions de sagesse toujours vivantes. Le but de cette quête est de le restaurer en nous, que l’on soit femme ou homme, et dans notre rapport au monde. Exploratrice passionnée de l’écologie profonde et spirituelle, Julie Cabot Nadal nous entraîne sur les chemins de la réconciliation et de l’alliance entre les pôles masculin et féminin, deux faces du même trésor qu’est la vie. Une invitation aussi à sortir de l’impasse dualiste pour devenir acteur.rice d’une société plus à l’écoute du Vivant.

En lien avec notre collaboration dans la phase inaugurale de La Canopée bleue, Julie Cabot Nadal m'a demandé une préface de son livre. En voici des extraits:
Avec justesse, Julie Cabot Nadal met le doigt sur l’un des dualismes majeurs de l’imaginaire moderne, souvent ignoré ou oublié: l’éclipse du féminin au profit du masculin. Elle nous rappelle que l’oppression de la nature non seulement est indissociable de celle des femmes – ainsi qu’en témoigne le sexocide des sorcières entre le XVe et le XVIIe siècle – mais qu’elle repose sur l’empire des principes masculins : séparation, domination, compétition, esprit de conquête, rationalité abstraite, performance… Cette prééminence est le fruit d’une longue histoire. Un moment crucial, souligné par l’auteure, est le remplacement du mythe primordial de la Grande Déesse-Mère immanente par des dieux masculins et transcendants. L’une des origines du patriarcat, avec l’infériorisation des femmes (identifiées à la nature et au foyer) et leur idéalisation-diabolisation (mère et putain).
L’une des clés de la transition vers un monde plus solidaire, juste et en harmonie avec le vivant, est la création d’un nouvel imaginaire. Or, il n’y aura pas de nouveau récit porteur d’avenir, de sens et d’espérance, sans la redécouverte du féminin. Engagée pendant plusieurs années au sein du mouvement Colibris, Julie Cabot Nadal en a eu comme la révélation en lisant cette phrase du paysan-philosophe Pierre Rabhi: «Le féminin est au cœur du changement.» Cet ouvrage, qui ne se veut pas un traité, nous en propose un parcours personnel de découverte. Au carrefour de l’écologie profonde, de l’écoféminisme et de l’écopsychologie.
Le féminin est moins un concept qu’un principe de l’être et du vivant. Mouvant, pluriel, il est impossible à mettre en boîte. Indissociable du divin et du sacré, il garde toujours une part de mystère. Julie Cabot Nadal l’approche non pas de manière théorique, en surplomb, à la lumière de la seule raison, mais par touches qui laissent une grande part à l’intuition. Elle suit le fil de ses enthousiasmes et de sa subjectivité. Elle l’aborde à travers les cosmogonies de traditions de sagesse (le taoïsme et le tantrisme), les savoirs vernaculaires de peuples premiers (les Kogis, les Maasaï, les Moso), les éclairages de Jung sur l’animus et l’anima ou encore l’interprétation symbolique des lettres hébraïques (Annick de Souzenelle).
A travers ces portes et ces guides, nous entrons peu à peu dans le monde profond et complexe du féminin. Il en ressort un grand nombre de qualités, parmi lesquelles: l’écoute intérieure et sensible, l’intuition, la vulnérabilité, l’humilité (d’humus, la terre), l’attention à la dimension charnelle, la coopération, l’interdépendance ou encore la compassion. L’auteure relève deux points essentiels. D’abord, même si – pour des raisons culturelles et biologiques – les femmes sont plus enclines à les incarner, ces principes féminins ne sont pas l’apanage des femmes. Ils constituent des réalités ontologiques que tout humain est appelé à chercher à l’intérieur de lui pour s’accomplir intégralement.
Ensuite, la revalorisation du féminin ne conduit pas à une dévalorisation du masculin. Le but n’est pas de substituer la domination d’une polarité par l’autre, mais de retrouver une harmonie. Le maître mot chez Julie Cabot Nadal est l’équilibre, qui ne peut être que dynamique. La contemplation donne sa fécondité à l’action qui en est l’incarnation. D’où la pertinence de la métaphore taoïste du yin et du yang, qui n’existent pas l’un sans l’autre. Naître, c’est unir ces deux principes créateurs. Grandir en humanité, c’est les intégrer dans son être. Vivre en plénitude, c’est entrer dans la danse de leur interaction, interpénétration et transformation permanentes.
Les qualités du féminin offrent les critères du vrai progrès humain, qui ne se mesure plus dès lors en performances, mais en degrés de conscience et d’amour. Encore faut-il les vivre, en vivre ? Soucieuse de ne pas en rester à un beau discours, Julie Cabot Nadal trace quelques pistes concrètes montrant comment retrouver et incarner le féminin. Elle les décline de manière holistique et intégrale, en quatre champs, comme autant de cercles concentriques et interdépendants. Primo, la relation à soi, avec le retour à notre corps comme source de sagesse, l’écoute de nos émotions et des cycles du vivant dans notre chair. Secundo, la relation à l’autre comme chemin de conscience, dans l’accueil de son altérité qui nous révèle à nous-mêmes dans nos ombres et nos lumières. Tertio, la relation aux organisations, à travers la place donnée aux ressentis et à l’intuition, l’émergence de nouvelles formes d’intelligence collective et de gouvernance partagée. Quarto, la relation à la nature, à travers un processus de reconnexion sensorielle et intime, dans la gratitude pour ses dons, la peine pour ses souffrances, la joie de nous sentir appartenir à la communauté du vivant enfouie jusque dans le tréfonds de notre inconscient.
Dans chacune de ces sphères, c’est à une véritable métanoïa que la résurgence du féminin nous invite. Cette transformation n’est pas facile. Elle est exigeante. Elle demande aspiration, patience, persévérance, rigueur et lâcher-prise. Car il ne s’agit rien moins que de libérer notre âme et notre corps des plis hérités de notre culture et de notre éducation, avec ses paquets de mémoires, de croyances, de projections, de fonctionnements égotiques, de besoins de contrôle et de maîtrise…
On voit la richesse et la profondeur des implications concrètes – absolument vitales – d’une redécouverte du féminin. On pourrait ajouter d’autres dimensions, plus collectives et politiques, développées au Nord et au Sud par le mouvement de la transition et toute la mouvance écoféministe. Difficile par exemple de ne pas penser aux luttes de ces innombrables gardiennes et gardiens de la planète, qui s’abreuvent aux sources de la nature et du sacré, puisent dans la conscience de leur interdépendance l’énergie de leur engagement non violent pour la justice, l’émergence d’alternatives créatives et résilientes, les droits de la Terre et des générations futures.
Malgré ses racines lointaines et sa montée en puissance, dont ce livre témoigne, le féminin est encore loin d’être connu et reconnu. Son existence même et son rôle font débat. En particulier au sein de la galaxie féministe. L’aborder avec justesse relève de l’équilibrisme. Julie Cabot-Nadal parvient à tracer une voie entre, d’un côté, l’essentialisme qui identifie les femmes à la nature en vertu de leur biologie et d’un supposé «Eternel féminin», et, de l’autre, un féminisme pour lequel la libération des femmes est synonyme d’émancipation à l’égard de la nature et de leur corps.
L’approche de l’auteure dépasse, en les intégrant, l’opposition entre nature et culture. Elle montre qu’il est possible de penser le couple femme/nature en honorant les réalités liées à leur corporéité et à l’expérience de la maternité, mais sans tomber dans un déterminisme biologique ni nier la construction socio-culturelle des genres. Si «Eternel féminin» il y a, celui-ci n’est pas réservé aux femmes, n’induit en rien une domination des hommes ni une soumission aux rôles de mère et d’épouse. Il relie tout être humain à la nature vivante, puissante et nourricière, ainsi qu’au mythe de la Grande Déesse et à tous les archétypes qu’il a inspirés, à ses pouvoirs initiatiques et au sacré.
A cet égard, Julie Cabot Nadal parle du «féminin sacré». L’ouverture à la spiritualité est l’une des qualités de son ouvrage. Le féminin est l’un des chemins intérieurs pour aller au-delà du voile du monde visible, s’ouvrir à son être véritable et au divin dont chaque personne est enceinte. Si l’humain est, par essence, un être-frontière entre la Terre et le Ciel, le matériel et le spirituel, le visible et l’invisible, les noces entre le féminin et le masculin sont la voie d’accomplissement de leur unité dans la chair et dans la vie. Pour la réalisation du Soi que Jung décrit comme «uni-totalité psychique».
Ce livre est une émanation de cette quête de l’unité. Julie Cabot-Nadal le présente comme un « collier » composé des « perles » recueillies au cours de ses explorations. On peut aussi y voir aussi un bouquet de graines et de grâces pour ensemencer un monde nouveau, réenchanté, réconcilié. Laissons-nous inspirer!
Julie Cabot Nadal, A la recherche du féminin perdu, Jouvence, 2019, 160 pages, 17 euros.