«Le Virgile de l’initiation à l’écologie chrétienne.» C’est ainsi que l’écrivain Falk van Gaver définit Jean Bastaire. A l’occasion des dix ans de sa naissance au ciel, un livre lui rend hommage et expose les points clés de sa pensée, de son espérance et de son engagement. Une contribution bienvenue pour promouvoir une figure majeure et insuffisamment (re)connue, qui appelait à une «insurrection pascale» des consciences au service du Vivant.
Théologien catholique issu de la littérature, disciple de Charles Péguy, chercheur inlassable, adepte des florilèges, Jean Bastaire (1927-2013) a témoigné de sa foi et de son amour de la création à travers une quinzaine de petits livres, profonds et accessibles, co-écrits avec sa compagne Hélène. Il y déploie une écospiritualité chrétienne engagée et contemplative, traversée par l’espérance en un salut aux dimensions cosmiques.
Pour cet auteur, à l’instar du Pape François (encyclique Laudato si’), la sauvegarde de la Création n’était pas secondaire ou optionnelle, mais une vocation au cœur même de la foi. Une composante essentielle de l’expérience chrétienne, malheureusement trop longtemps et fréquemment oubliée, ignorée ou négligée. D’où son désir fervent de (r)éveiller les consciences, en particulier les croyants trop souvent endormis et sourds aux clameurs de la Terre.
Dirigé par les théologiens Fabien Revol et François Euvé, le recueil de textes Jean Bastaire l’écologiste (Salvator) met bien en relief cinq éléments clés de son œuvre, en en montrant les forces et les limites.
L’insurgé chrétien rétablit le droit sens des choses en retournant leur retournement, en les faisant revenir à la juste tension de l’être qui est de s’aimer pour l’autre et non pour soi.
Premièrement, les sources traditionnelles de sa pensée écologique: la Bible, bien sûr, mais aussi les Pères de l’Eglise dont il était un connaisseur érudit, saint François d’Assise pour la fraternité universelle avec toutes les créatures et l’éloge de la sobriété, Teilhard de Chardin pour son approche eschatologique de l’univers en tant que «création en cours de déploiement et d’achèvement».
Deuxièmement, les grands axes de sa réflexion théologique. D’abord, ainsi que l’exprime sa «veillée franciscaine et écologique» dont nous avons publié quelques perles dans une méditation sur Noël, une compréhension cosmique du mystère de l’incarnation du Christ comme récapitulation de toute la Création et réconciliation entre la Terre et le Ciel. Ensuite, une vision de la nature comme manifestation et révélation de Dieu, donc lieu pour le connaître à travers la contemplation: «Sauver la création, c’est voir la matière non plus à travers des yeux qui divisent, mais à travers des yeux régénérés par l’Esprit, des yeux capables de libérer la beauté de toutes choses, de toutes créatures» [1].
Troisièmement, une critique de l’anthropocentrisme occidental et l’appel à une réharmonisation de nos relations avec les autres créatures – en particulier les animaux pour lesquels il nourrissait un grand amour –, dans la conscience de notre interdépendance, de leur dignité propre et de leur valeur intrinsèque. La vocation spécifique de l’être humain, qui se traduit dans l’intendance et sa mission sacerdotale, n’est pas un droit de domination au nom d’une prétendue supériorité, mais une responsabilité: se mettre au service de l’activité créatrice de Dieu et participer à la transfiguration du monde.
Quatrièmement – à mille lieux d’une piété individualiste et éthérée – une spiritualité de l’incarnation et de l’espérance reposant sur «un plaidoyer pour la sainteté de la matière» [2]. En prenant chair, Dieu en effet a assumé en lui la matérialité du cosmos tout entier. Avec pour finalité, motif même de la création, la christification de l’univers, c’est-à-dire sa participation à la vie divine et à la résurrection. «Rien n’est plus urgent que d’affirmer cette Pâque de l’univers entier» [3].
Dans cette perspective, pour l’être humain, le salut comme union à Dieu passe par une communion avec la Terre et toutes les créatures qui l’habitent. Il ne concerne pas seulement l’esprit et l’âme, mais le corps. Pas seulement l’être humain, mais l’ensemble des créatures. À la fin des temps, Dieu sera «tout en tous» (1 Corinthiens 15,28). Voilà pourquoi l’Evangile doit être proclamé à toute la création (Marc 16,15).
Cinquièmement, dans le sillage d’Ivan Illich et de Jacques Ellul, Jean Bastaire s’est engagé pour un changement des modes de vie vers des formes de sobriété heureuse. Il critiquait avec véhémence la démesure du consumérisme, le paradigme technocratique et la civilisation de l’argent. En réponse à ces idolâtries, il proposait un «nouveau franciscanisme» pour toutes et tous, avec comme principes l’éthique du don, la pauvreté ou simplicité volontaire. Une manière de suivre le Christ dans sa kénose.
Pour réaliser cet idéal, apporter un souffle nouveau au sein des Eglises et revitaliser le message écologique de saint François, Jean Bastaire avait imaginé un mouvement des «Petits frères et petites sœurs de la création». Un réseau et des groupes de personnes engagées pour la fraternité ou sororité cosmique entre les créatures.
Des premières «cellules pauvres et puissantes comme des germes» en sont nées, dont une fraternité dans le diocèse de Cahors (Lot), à l’origine du Centre Hélène et Jean Bastaire pour l’écologie intégrale. Consacré à la formation, la recherche, le ressourcement spirituel et l’accueil de personnes en difficultés, ce lieu a ouvert ses portes en septembre 2024. Parmi d’autres initiatives, on peut aussi mentionner le lancement, le 4 octobre 2024 (fête de saint François), d’un projet d’Anima Terra pour accompagner l'émergence de cellules locales interspirituelles et interespèces de reliance et de solidarité écologique.
Jean Bastaire l’écologiste. Hommage à un pionnier (Fabien Revol et François Euvé, dir.), Salvator, 2023.
[1] Lettre à François Euvé, 1er janvier 2007.
[2] Fabien Revol, «Le projet théologique de Jean Bastaire», p. 32.
[3] Lettre à François Euvé, 1er octobre 2006.
À l’heure du look hyperréaliste publicitaire, du naturalisme télévisuel, fade et sans surprise, le chef opérateur Henri Alekan (1909-2001) fait figure de rescapé. Le dernier Mohican d’une époque révolue du cinéma, artisanale, où la beauté du réel était inséparable de la poésie de l’imaginaire. Il a consigné en 1984 sa vaste expérience et ses réflexions dans un livre somptueux, Des lumières et des ombres, qui vient d’être réédité aux éditions du Collectionneur.
«La Terre, notre Mère-Nature, est au bord du gouffre», déclare Carolyn Carlson, immense figure de la danse contemporaine. En partant de ce naufrage, elle nous offre avec The Tree un puissant et envoûtant poème dansé, visuel et musical, sur les liens brisés et à restaurer entre l’être humain et le vivant. Entre mélancolie et espérance, un cri d’amour à la nature, magnifié par les toiles à l’encre de Chine du peintre Gao Xingjian.
A l’heure où l’écoféminisme gagne en puissance comme éventail de réponses fécondes aux souffrances de la Terre, la revue en ligne Esprit de Nature a choisi de consacrer son troisième numéro au triptyque «Femmes, Nature et Sacré». Une riche et inspirante exploration de dimensions essentielles pour la métamorphose à opérer.
«Le chaman traverse les mondes, il est le pont, il va discuter de l’autre côté du rideau de l’invisible», déclarait l’écrivaine Anne Sibran à propos de son envoûtant ouvrage, né de son vécu avec les peuples amazoniens: Enfance d’un chaman (Gallimard, 2017). On pourrait dire la même chose du peintre Paul Cézanne qu’elle met en scène dans Le premier rêve du monde (Gallimard, 2022). Transfigurée par une écriture poétique finement ciselée, une quête initiatique de la beauté de la Terre où nous vivons, d’un «inespéré» surgissant de «l’éternel présent», «au-delà du temps des hommes et de ce qu’ils voient».
Quelle est la place des animaux dans les diverses cultures de l’humanité et quelles sont leurs relations à l’être humain et au divin? C’est à ces questions qu’est consacrée la nouvelle édition du Calendrier des religions (éditions Agora). Couvrant la période de septembre 2022 à décembre 2023, il propose un regard à la fois anthropologique, historique et iconographique qui documente et questionne nos rapports au monde animal. Avec des textes de spécialistes, agrémentés de belles photographies et œuvre d’art.
«Pour qui prête l’oreille, laisse traîner son regard, affûte sa propre sensibilité envers ces êtres du vivant qui agissent, parlent, imaginent et font imaginer», de nouvelles voix et de nouvelles manières d’évoquer les écosystèmes surgissent en Occident.» Plus particulièrement en Suisse romande, «terreau plutôt favorable aux motifs écospirituels». C’est ce que montre Alexandre Grandjean, chercheur à l’Institut de sciences sociales des religions de l’Université de Lausanne, dans un petit livre passionnant: Arborescence – Les voix de l’écologie spirituelle (Hélice Hélas, 2022).
«Le Virgile de l’initiation à l’écologie chrétienne.» C’est ainsi que l’écrivain Falk van Gaver définit Jean Bastaire. A l’occasion des dix ans de sa naissance au ciel, un livre lui rend hommage et expose les points clés de sa pensée, de son espérance et de son engagement. Une contribution bienvenue pour promouvoir une figure majeure et insuffisamment (re)connue, qui appelait à une «insurrection pascale» des consciences au service du Vivant.