Un essai roboratif pour prendre la mesure des enjeux socio-écologiques actuels, sans céder au désespoir et à l’impuissance ni se réfugier dans un optimisme illusoire. Chrétiens investis dans la Cité, la fondatrice du Campus de la transition Cécile Renouard et le jésuite Xavier de Bénazé témoignent avec force de l’espérance qui les habite, invitent à l’action et tracent des pistes pour s’accomplir et s’engager comme «contemplatif, militant et leader».
En signe d’amitié et pour honorer notre compagnonnage au service de la «grande transition», Cécile et Xavier m’ont demandé de préfacer leur manifeste. En voici quelques extraits:
[…] On l’aura compris. Le défi, pas facile à réaliser, est d’arriver à tenir ensemble, en permanence, la lucidité et l’espérance ainsi que, d’une certaine manière, le futur lié à la première et l’à-venir lié à la seconde. Cécile et Xavier y parviennent en traçant un chemin de crête entre Terre et Ciel, mystique et politique. Une voie étroite sur laquelle ils nous invitent à danser au service de la « grande transition » écologique et sociale. Dans une approche holistique et synthétique, qui brasse large en croisant et mettant en résonance des éléments comme le modèle des six portes, Laudato si’, les exercices spirituels de saint Ignace de Loyola et nombre de pistes dans la seconde partie de l’ouvrage, ils posent pour cela – avec souffle et pédagogie, clarté et profondeur – quelques jalons essentiels qui sont autant de «boussoles éthiques et spirituelles» pour donner du sens, c’est-à-dire une orientation, une signification et une direction à notre existence et à nos engagements.
La voie proposée rejoint celle de la « personne méditante-militante » promue dans les réseaux de transition intérieure. L’originalité de l’ouvrage est de la déployer à travers la triple vocation baptismale de prêtre, prophète et roi. Ces figures, très connotées religieusement et qu’il convient de féminiser, pourront ne pas parler à certaines personnes, voire en rebuter d’autres. Certes, Cécile et Xavier – par leur langage et leurs références – s’adressent de fait en priorité à un public chrétien, dont ils souhaitent éclairer les choix et stimuler l’engagement, en rappelant le «rôle essentiel des minorités actives pour provoquer des points de bascule». Ils sont toutefois aussi convaincus de l’universalité du message de fond de l’Evangile et voient l’Esprit à l’œuvre chez nombre de leurs contemporains désireux de changer en profondeur et de prendre soin du vivant, indépendamment de leurs convictions religieuses. Cette ouverture se traduit dans la seconde partie du livre, riche de ressources très diversifiées qui vont bien au-delà de la seule tradition chrétienne, pour nourrir les cheminements personnels et «raviver la petite flamme de l’espérance dans nos engagements quotidiens».
Il vaut donc la peine de ne pas rester bloquer sur les références chrétiennes. La force de Cécile et Xavier est non seulement de les assumer, mais de les actualiser en élargissant leur compréhension par rapport à l’approche classique de la littérature biblique, en en montrant la pertinence et la puissance pour – au-delà des milieux d’Eglise – s’engager pour le changement de cap. Pour le dire de manière simplifiée et en les laïcisant, les figures de prêtre, prophète et roi renvoient respectivement à la contemplation méditante, à l’action militante et au leadership responsable. À travers le prisme choisi, l’ouvrage leur donne cependant une dimension de profondeur accrue, une forme de supplément d’âme et d’esprit. Chaque personne pourra en faire son propre miel et y trouver des résonances avec ses convictions et ses pratiques.
[…]
Profondément complémentaires et poreuses, ces figures de prêtre, prophète et roi ne cessent de se répondre, se recouper et s’interpénétrer au fil des pages. Elles forment en réalité un tout. Mobilisant les différentes dimensions de l’être – corps, âme et esprit –, elles impliquent les trois une métanoïa, une mutation ou métamorphose intérieure. En termes de transition intérieure, on dirait qu’elles renvoient à des «rôles» qu’il s’agit de «faire jouer ensemble dans nos existences individuelles et nos choix collectifs». Elles relient également la tête, le cœur et les mains. Car l’espérance dont elles témoignent n’a de sens et de fécondité que si elle s’incarne dans la chair du monde et de l’histoire, dans l’être et le faire. Elle n’est pas attente, mais action. Elle nourrit et se nourrit choix et d’engagements dans tous les domaines et à toutes les échelles, du plus personnel au plus collectif, du local à l’international. Cécile et Xavier, loin de rester dans de simples théories, déclinent une série de pistes qui vont de la mise en question des indicateurs de mesure comme le PIB aux écogestes, en passant par la politique énergétique et les formes de gouvernance.
[…]
«Soyez toujours prêts à justifier votre espérance devant ceux qui vous en demandent compte» (1 P 3,15). Cécile et Xavier ont pris au sérieux et quasi à la lettre cette invitation, en la resituant dans le contexte de l’Anthropocène. Lucide, contemplative, prophétique, responsable, incarnée, mystique, humble, engagée et dégagée, l’espérance qui les anime et dont témoigne leur livre est ouverte, «hors cadre» et en mouvement. Bien ancrée dans leur foi, avec des racines au Ciel et dans la Terre, elle est en marche permanente, à l’image du Christ qui n’a pas une pierre où reposer la tête. Elle s’oppose donc à tout enracinement qui serait enfermement, fixation et conformisme. Elle invite au contraire à se laisser déplacer, sortir de nos zones de confort, déconstruire nos conditionnements, décoloniser notre imaginaire, oser des pas de côté, prendre des chemins de traverse et non encore balisés.
«Rouvrir l’horizon», c’est ne jamais se satisfaire de l’acquis et des réponses toutes faites, mais toujours chercher à se dépasser et aller plus loin. Selon une dynamique de reliance et d’amour qui va de «commencement en recommencement» (Grégoire de Nysse, ive siècle), dans un questionnement permanent, une tension constante entre l’en bas et l’en haut, entre le doute (à traverser) et la certitude (à dépasser). Entre le «pas encore» du siècle à venir et le «déjà là» du Royaume en voie de transfiguration, ici et maintenant, par la coopération – dans l’histoire – des êtres humains, des autres qu’humains et de l’Esprit saint.
Cécile Renouard et Xavier de Bénazé, Rouvrir l'horizon, préface de Michel Maxime Egger, Editions Emmanuel, septembre 2023, 216 pages, 18 euros.
Le secret est d’avancer jusqu’à ce que le mystère se révèle. Notre cœur bat pour nous porter vers les profondeurs, les insondables profondeurs du Souffle primordial.
«Le chaman traverse les mondes, il est le pont, il va discuter de l’autre côté du rideau de l’invisible», déclarait l’écrivaine Anne Sibran à propos de son envoûtant ouvrage, né de son vécu avec les peuples amazoniens: Enfance d’un chaman (Gallimard, 2017). On pourrait dire la même chose du peintre Paul Cézanne qu’elle met en scène dans Le premier rêve du monde (Gallimard, 2022). Transfigurée par une écriture poétique finement ciselée, une quête initiatique de la beauté de la Terre où nous vivons, d’un «inespéré» surgissant de «l’éternel présent», «au-delà du temps des hommes et de ce qu’ils voient».
À l’heure du look hyperréaliste publicitaire, du naturalisme télévisuel, fade et sans surprise, le chef opérateur Henri Alekan (1909-2001) fait figure de rescapé. Le dernier Mohican d’une époque révolue du cinéma, artisanale, où la beauté du réel était inséparable de la poésie de l’imaginaire. Il a consigné en 1984 sa vaste expérience et ses réflexions dans un livre somptueux, Des lumières et des ombres, qui vient d’être réédité aux éditions du Collectionneur.
«Pour qui prête l’oreille, laisse traîner son regard, affûte sa propre sensibilité envers ces êtres du vivant qui agissent, parlent, imaginent et font imaginer», de nouvelles voix et de nouvelles manières d’évoquer les écosystèmes surgissent en Occident.» Plus particulièrement en Suisse romande, «terreau plutôt favorable aux motifs écospirituels». C’est ce que montre Alexandre Grandjean, chercheur à l’Institut de sciences sociales des religions de l’Université de Lausanne, dans un petit livre passionnant: Arborescence – Les voix de l’écologie spirituelle (Hélice Hélas, 2022).
Un essai roboratif pour prendre la mesure des enjeux socio-écologiques actuels, sans céder au désespoir et à l’impuissance ni se réfugier dans un optimisme illusoire. Chrétiens investis dans la Cité, la fondatrice du Campus de la transition Cécile Renouard et le jésuite Xavier de Bénazé témoignent avec force de l’espérance qui les habite, invitent à l’action et tracent des pistes pour s’accomplir et s’engager comme «contemplatif, militant et leader».
Quelle est la place des animaux dans les diverses cultures de l’humanité et quelles sont leurs relations à l’être humain et au divin? C’est à ces questions qu’est consacrée la nouvelle édition du Calendrier des religions (éditions Agora). Couvrant la période de septembre 2022 à décembre 2023, il propose un regard à la fois anthropologique, historique et iconographique qui documente et questionne nos rapports au monde animal. Avec des textes de spécialistes, agrémentés de belles photographies et œuvre d’art.
A l’heure où l’écoféminisme gagne en puissance comme éventail de réponses fécondes aux souffrances de la Terre, la revue en ligne Esprit de Nature a choisi de consacrer son troisième numéro au triptyque «Femmes, Nature et Sacré». Une riche et inspirante exploration de dimensions essentielles pour la métamorphose à opérer.
«La Terre, notre Mère-Nature, est au bord du gouffre», déclare Carolyn Carlson, immense figure de la danse contemporaine. En partant de ce naufrage, elle nous offre avec The Tree un puissant et envoûtant poème dansé, visuel et musical, sur les liens brisés et à restaurer entre l’être humain et le vivant. Entre mélancolie et espérance, un cri d’amour à la nature, magnifié par les toiles à l’encre de Chine du peintre Gao Xingjian.