Saisir l'essentiel dans l'éphémère

Bloc-notes

Nul mieux que François Mauriac, dans son célèbre Bloc-notes, a su développer un art de la chronique comme forme de dialogue avec soi-même et avec autrui. A l’écoute de l’esprit du temps, des mutations en cours et à venir, des heurs et malheurs du monde, de ce qui travaille la Terre et l’humanité en profondeur. Autrement dit, une façon constante d’aller vers le monde et autrui en passant par soi-même. Et inversement… Dans la tension entre l’immanence et la transcendance, la lucidité et la foi, la contemplation et l’action.

J’ai longtemps hésité, mais – tant pis ou tant mieux – je me lance. En écrivant les premières lignes de ce journal de bord à temps et à contre-temps, je pense inévitablement à François Mauriac et à son célèbre Bloc-notes. Référence géante, éblouissante et écrasante, mais incontournable. Pas que j’ambitionne de l’imiter, quelle prétention! Non, mais – au-delà de sa verve polémique et ferrailleuse qui n’est pas mon genre – il y a chez lui plusieurs choses qui me touchent et qui ont, pour moi, valeur d’exemple:

Alors âgé de 84 ans, l’écrivain français et Prix Nobel de littérature François Mauriac (1885-1970) reçoit Fernand Seguin pour une grande réflexion sur son cheminement littéraire, spirituel et existentiel à travers notamment son œuvre autobiographique «Mémoires intérieurs». En fin d’entrevue, il aborde le thème de la mort et parle de sa «grâce», la fidélité à lui-même...

L'art du bien veillir

Mauriac a démarré ses blocs-notes en 1952 à la revue de la Table ronde avant de les poursuivre en 1954 à L’Express, qui venait d’être créé par Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud. Il avait 67 ans. à peine plus que mon âge. Comme lui, je suis entré dans l’arrière-saison de mon existence. Comme lui, même si l’après-guerre était très différent d’aujourd’hui, j’ai le sentiment de vivre dans un époque-charnière, pleine de dangers et de promesses, qui requiert de la vigilance et de l’engagement. Comme lui, je n’ai pas (encore) envie de céder à l’«immobilité de la statue et du dieu-Terme que l’âge confère à l’homme».

Grâce notamment à ses chroniques, d’une manière plus ou moins distante et toujours personnelle, Mauriac a continué à participer à l’histoire, résistant jusqu’à son dernier souffle (85 ans) à la tentation de «se terrer et de se taire». Dans sa chronique du 25 juillet 1955, il cite le philosophe et homme politique Benedetto Croce (1866-1955) dont il vient de relire Contribution à ma propre critique: «La vieillesse est toujours la vie, avec sa peine et son repos, sa tristesse et sa joie, son désespoir et son espérance qui, chez les meilleurs, s’élargissent jusqu’à embrasser, au-delà de leur propre personne, le monde qui les entoure et l’avenir du monde.»

J’ajouterais la Terre et tous les êtres – humains et autres humains – qui l’habitent. Ce que fait d’ailleurs Mauriac en concluant: «Oui, s’élargir comme mon fleuve natal dont l’estuaire ne se distingue plus de l’océan.»[2] Un projet de vie élargie que je fais volontiers mien.

[1] François Mauriac, Bloc-notes, Tome 1, 1952-1957, Seuil, 1993, p. 329.

[2] Ibid., p. 285-86.

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