Réunir les connaissances des écologistes, la sensibilité des thérapeutes et l’énergie des militants. Voilà comment, au milieu des années 1990, était décrit le mouvement de l’écopsychologie, alors en voie de cristallisation. Une manière déjà de signifier la nécessaire articulation entre la tête, le cœur et les mains. Même si elle ne se présente pas explicitement comme écopsychologue, Cécile Entremont – par sa formation, sa pratique et son approche – répond complètement à cette définition. Ce stimulant essai en témoigne.
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Cécile Entremont tisse son propos en soulignant comment tout est lié. Elle le fait avec pédagogie, dans un langage simple et un sens remarquable de la synthèse. En même temps, elle ne se contente pas de théorie. Au-delà des nombreuses citations qui constituent autant de sources pour aller plus loin et s’inscrire dans une communauté de pensée, sa présentation repose sur une expérience personnelle et y invite. Elle offre à tout moment des illustrations concrètes et des pistes de mise en œuvre.
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L’auteure reprend donc et décline les grands principes de l’écopsychologie en les intégrant dans la dynamique de la transition. Mais elle ne s’arrête pas là. Un point essentiel de son ouvrage, qui en fait la force, c’est qu’il inclut et développe deux dimensions qui restent souvent marginales, périphériques ou ignorées de l’écopsychologie: la spiritualité et l’engagement militant. Deux conditions pour, en toute responsabilité, parvenir à transformer le «temps de la fin» – avec ses effondrements en cours et à venir – en un (re)commencement, personnel et collectif.
Cécile Entremont propose ni plus ni moins qu’une spiritualité de la Vie. Rien d’étonnant quand on sait qu’elle n’est pas seulement psychologue et psychothérapeute, mais aussi théologienne et formatrice en accompagnement spirituel. Sa vision est résolument laïque, ouverte et plurielle – en-deçà et au-delà des religions, sans pour autant rejeter leurs apports. Elle éclaire la spiritualité sous divers angles au fil de l’ouvrage et en donne plusieurs définitions qu’on pourrait synthétiser par cette formule : un voyage intérieur pour aller vers le Soi – l’Être transcendant et immanent, plus grand que soi et au-delà du moi – dans une ouverture au mystère sacré qui nous dépasse, animé par le Souffle originel de l’univers. L’expérience de cette dimension, Source même de l’être, de la vie, de la conscience et de l’amour, donne force et confiance dans la quête humble de sens, d’identité et de cohérence.
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Quant à l’engagement militant pour des sociétés qui soutiennent la vie, il est pour l’auteure indissociable d’une critique du système qui la détruit. Point capital, tant les affects humains et les comportements irresponsables qui en découlent sont aussi des effets des structures socio-économiques qui vivent en nous ainsi que des politiques et agissements non durables des grands acteurs comme les gouvernements et les entreprises. Gare donc à ne pas sur-psychologiser les problèmes socio-écologiques et à déplacer tout le poids de la responsabilité sur les épaules des seuls individus. Transformer les consciences et transformer le système vont de pair, comme deux démarches nécessaires et indissociables.
Il y a donc aussi du travail «politique» à effectuer, à l’intérieur et à l’extérieur de soi. Au sens non pas de la politique politicienne, mais, pour reprendre l’appel de l’écopsychologue jungien James Hillmann, de soutenir la maturation des «conditions subjectives» – en termes de conscience, de motivation et de capacité d’agir – nécessaires à la transition vers des sociétés écologiques.
Fort de toutes ces dimensions, l’ouvrage constitue, à sa manière, un véritable petit traité du méditant-militant. Il en propose un chemin existentiel à travers plusieurs étapes dont il expose les tenants et aboutissants.
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Ce parcours n’obéit pas à des recettes. Il représente un chemin existentiel d’empowerment, auquel chacun et chacune donnera des couleurs et des formes propres, correspondant à son unicité, son histoire, ses potentialités et ses contraintes. Plusieurs ingrédients sont cependant cruciaux. Il s’agit en particulier, nous dit Cécile Entremont, de retrouver certaines dimensions essentielles de notre être: le pouvoir du corps comme clé pour habiter authentiquement la Terre; la puissance du rêve et de l’imaginaire pour dessiner des horizons d’avenir désirables; la capacité d’agir, démultipliée quand elle s’inscrit dans des collectifs animés par des formes de gouvernance partagée.
Telle est, en très grandes lignes, la transformation personnelle et collective tracée par Cécile Entremont. L’enjeu est non seulement d’amortir les ondes de choc de la disruption civilisationnelle en cours, mais de passer de l’Anthropocène au Symbiocène. Autrement dit, écrire ensemble un nouveau chapitre de l’aventure humaine, fondé non plus sur l’exploitation démesurée du système Terre mais sur la symbiose retrouvée avec le vivant. Une voie exigeante et profonde pour laquelle – avec une belle énergie et un enthousiasme contagieux – l’auteure transmet l’élan de vie, la motivation d’agir, les éléments de sens, de lien, d’identité et de considération nécessaires à son accomplissement.
«C’est mon métier de protéger la vie, de la libérer de ses entraves et de lui permettre de s’épanouir selon le chemin de chacun», écrit Cécile Entremont. Cinq années après S’engager et méditer en temps de crise (Temps présent, 2016), touchée plus que jamais par les clameurs de la Terre et les cris des pauvres, mais aussi par les appels des jeunes dans la rue et le développement du mouvement de la transition, l’auteure a ressenti à nouveau le «besoin d’apporter sa petite impulsion supplémentaire au concert des voix qui s’élèvent». On ne peut que s’en réjouir. Elle le fait dans la lumière de la joie de profonde qui embrasse, éclaire et transcende toutes les ombres et difficultés.