Le « Travail qui relie », outil
d’apprentissage transformatif

Écopsychologie

En matière de formation, la «grande transition» écologique et sociale implique un apprentissage transformatif «tête-cœur-mains». Un outil puissant pour cela est le «Travail qui relie», élaboré par l’écophilosophe américaine Joanna Macy. La place donnée aux émotions dans l’intelligence des problèmes, le compostage de l’écoanxiété, l’acquisition d’une vision écocentrée, l’éthique des vertus et l’encouragement à l’action à travers à une écologie du désir sont autant d’apports majeurs de cette méthodologie transdiciplinaire et holistique. Mais comment les proposer et les mettre en œuvre dans le monde académique?

I. Fondements et approches

Changement de paradigme

Albert Einstein l’a dit avec force: il est des problèmes qu’on ne peut résoudre sur le plan de conscience où ils ont été créés. C’est précisément le cas des bouleversements systémiques auxquels nous sommes confrontés avec les dérèglements climatiques, la sixième extinction des espèces, les inégalités et exclusions croissantes ou encore des pandémies comme la Covid-19. Pour répondre en profondeur à ces défis, le solutionnisme – un problème, une solution – n’est plus de mise et le «développement durable» au sens faible et dominant ne suffit pas. Il ne s’agit pas seulement, même si c’est nécessaire, de procéder à des améliorations et régulations dans un système qui globalement demeure, mais d’opérer un véritable changement de paradigme. Une transformation profonde de nos manières d’être, de voir, de penser, de vivre et d’agir. Une mise en question radicale de nos cadres de référence, de nos croyances personnelles et collectives – radicale au sens non pas d’extrême politique, mais d’aller à la racine des problèmes. C’est ce que recouvre le concept de «grande transition» et le modèle des «six portes» proposé pour l’accomplir dans le manuel[1] qui lui est consacré.

© Campus de la Transition (creative commons)

Une telle mutation implique, par la force des choses, également des «approches éducatives renouvelées» tout «au long de la vie»[2]. Dans une démarche transversale, holistique, inter- et transdisciplinaire, le Manuel de la grande transition propose ainsi une pédagogie «tête-corps-cœur», qui «intègre de façon structurante le rapport aux émotions et au corps»[3]. Il s’inscrit par là-même de manière explicite dans la culture du mouvement de la transition, qui parle d’ailleurs plutôt de triptyque «tête-coeur-mains» avec un accent sur la dimension d’engagement et d’action, donc le développement du pouvoir-faire fondé sur un vouloir-faire. Dans tous les cas, l’éducation n’a pas seulement pour but de transmettre des connaissances et des compétences, mais de permettre l’acquisition durable et transformatrice de savoir-être, savoir-penser, savoir-vivre et savoir-faire, permettant «à chacun d’accomplir son chemin unique dans le partage et la contribution à une communauté de destin»[4] ou, pour le dire autrement, au bien commun.

Apprentissage transformatif

De nombreuses recherches ont été réalisées ces dernières années dans cette optique. L’un des champs de référence, bien développé dans le monde anglo-saxon et encore marginal en Europe francophone, est l’«apprentissage transformatif» (transformative learning). Une approche initiée dans les années 1970 déjà par Jack Mezirow[5], spécialiste états-uniens de l’éducation des adultes. «Élaborée au contact de plusieurs influences théoriques (pragmatisme, interactionnisme symbolique, constructivisme, herméneutique, psychanalyse, pédagogie critique, etc.)»[6], elle a été enrichie par les nombreux débats qu’elle a suscités. Jack Mezirow définit l’apprentissage transformatif comme un «processus» visant à construire et s’approprier «une interprétation nouvelle ou revisitée du sens de l’expérience vécue», afin de «guider l’action future»[7] et la prise de décision.

En résumé, l’apprentissage devient transformateur s’il est libérateur, s’il produit chez le sujet un mouvement vers plus de conscience et d’autonomie à travers un changement des structures et perspectives de sens individuelles et collectives, héritées de la société ou élaborées de manière non critique au fil de l’existence. Il s’agit de transformer des manières de percevoir, connaître, penser, croire, sentir et agir ainsi que les principes, concepts et valeurs qui les conditionnent.

Si le modèle initial de Jack Mezirow a été critiqué pour la place trop grande donnée à la rationalité et à la réflexion critique, les développements ultérieurs par d’autres auteurs ont souligné l’importance d’inclure d’autres modes de connaissance permettant de mobiliser l’intégralité de la personne: le corps et les sens, les émotions et les sentiments, l’intuition et l’imagination créatrice. Une perspective qui rejoint celle du Manuel de la grande transition. Les processus transformateurs à mettre en œuvre concernent toutes les dimensions de notre être-au-monde: nos relations avec les autres – humains et autres qu’humains –, la formation de notre identité, notre conscience corporelle, notre compréhension du pouvoir et de la justice, notre vision du monde et du vivant, nos engagements pour la transition vers des sociétés de sobriété joyeuse, de justice et de paix. Les dynamiques nouvelles d’apprentissage qui en découlent valent tant pour des individus que pour des groupes et des organisations.

« Travail qui relie »

Un outil particulièrement pertinent et puissant pour incarner la perspective que nous venons d’esquisser est le «Travail qui relie» (TQR). Une méthodologie transdiciplinaire et holistique élaborée dès le milieu des années 1980 par l’écophilosophe Joanna Macy, présentée dans un manuel avec des exercices[8] et un autre ouvrage qui en explicite le sens[9]. Transdisciplinaire, car au carrefour des «cercles expansifs» traversés par sa conceptrice avec son doctorat universitaire, son chemin spirituel et son engagement citoyen: la théorie des systèmes, le bouddhisme, le militantisme antinucléaire, l’écologie profonde et l’écopsychologie. Holistique, car l’ensemble des exercices proposés convoquent toutes les dimensions – sensorielles, affectives, cognitives et même spirituelles – de l’être. Expert en éducation et études environnementales, Mark Hathaway définit le TQR comme «un processus d’apprentissage transformatif qui s’efforce d’aider les participants à reconnaître, expérimenter et comprendre les émotions qui peuvent soutenir ou inhiber l’action face à la crise écologique»[10].

La gravité de l’état de la planète est en effet le point de départ du TQR. Pour Joanna Macy, nous nous trouvons dans une situation d’«incertitude radicale» – on retrouve le mot radical – où nous avons le choix fondamentalement entre trois histoires. Primo, le «business as usual», qui ne remet pas en question le modèle croissanciste, productiviste et consumériste dominant, et mise notamment sur la technique pour résoudre les problèmes. Secundo, la «grande désagrégation», avec les émotions douloureuses et le découragement, voire le désespoir, caractéristiques de l’écoanxiété générée par les effondrements en cours et à venir ainsi que les discours collapsologiques. Tertio, le «changement de cap», à travers l’engagement pour la «grande transition» d’un système qui détruit le vivant vers des sociétés qui le soutiennent, car fondées sur des relations réharmonisées entre les humains et avec les autres qu’humains.

Pour Joanna Macy, notre capacité à répondre aux défis planétaires dépend de l’histoire à laquelle nous nous identifions. L’humanité est à la croisée des chemins et nous sommes appelés à faire des choix. Une nécessité dont une partie de la jeune génération est particulièrement consciente. Ainsi, fin 2021, l’éditorial intitulé «L’écologie ou la mort» signé par la jeune militante française Camille Etienne dans un hors-série du magazine Socialter[11] dont elle est la rédactrice en chef invitée.

Le TQR se veut une contribution à la troisième histoire que Joanna Macy nomme aussi l’«espérance en mouvement». Sa visée est – à travers une reliance profonde à soi-même, aux autres et au vivant – d’aider les personnes à développer leurs ressources intérieures et sociales pour y participer, l’incarner dans leur être et leur existence. Le TQR a donc clairement pour finalité d’« empuissancer » les personnes (empowerment) et d’accroître leur motivation à agir. Son potentiel transformateur est d’autant grand que les exercices se déroulent en groupe, avec un soin particulier apporté à la membrane collective et un réel soutien fourni par la communauté temporaire qui se constitue.

© binocle

Le TQR regroupe un ensemble de pratiques incluant des méditations, des temps pour soi, des exercices interactifs en binôme ou en groupe, des apports de contenu et des formes de rituels. Il se présente comme une spirale qui se déploie organiquement selon quatre temps: «s’enraciner dans la gratitude» en s’émerveillant du miracle permanent de la vie ; «honorer notre douleur pour le monde » en traversant l’écoanxiété ; «porter un nouveau regard» en acquérant une conscience du «soi écologique» ancré dans le temps profond ; «aller de l’avant» en cultivant son désir et ses talents pour l’engagement. Ces différentes étapes forment un tout qui est plus que la sommes de ses parties. Joanna Macy préfère parler d’une spirale plutôt que d’un cercle, car «chaque fois que nous traversons les quatre étapes, notre expérience est différente»[12].

Des milliers de personnes, non seulement aux Etats-Unis mais sur tous les continents, ont participé à des formations, ateliers et rituels de Joanna Macy ou organisés par des associations qui diffusent son approche[13].

II. Apports transformateurs du TQR

Quels sont, plus concrètement, les apports du TQR en termes d’apprentissage transformatif ? Ils sont de plusieurs ordres, en résonance avec la plupart des «six portes» de la grande transition écologique et sociale, et pas seulement avec celle de dynamis où le TQR est présenté dans le Manuel[14]. Sans être exhaustif, on en relèvera cinq: intelligence émotionnelle des problèmes planétaires (oikos), compostage de l’écoanxiété (dynamis), acquisition d’une vision écocentrée du monde et de soi (logos), culture d’une éthique des vertus (ethos), encouragement à l’action (praxis).

Intelligence émotionnelle des problèmes

L’une des caractéristiques du TQR, peut-être même sa principale, est la forte convocation des affects. C’est souvent ce qui marque et dont se souviennent le plus les participants. Pour Joanna Macy, les émotions sont l’un des principaux moteurs du changement de cap. Il ne saurait y avoir de transformation – individuelle et collective – sans avoir appris à cesser d’«être des cerveaux sur des bâtons» et donc à reconnecter la tête et le cœur.

On sait, grâce aux recherches en psychologie cognitive et neurosciences ainsi qu’aux travaux de Daniel Goleman[15], l’importance-clé des émotions et des sentiments – ainsi d’ailleurs que des modes de connaissance non consciente – dans les processus d’apprentissage[16]. D’abord, il est faux de les séparer de la raison. A l’instar du corps et de l’âme, les émotions et la raison sont indissociables, reliées par des interdépendances complexes: il y a une dimension émotionnelle de la rationalité, comme il y a une dimension cognitive des émotions. Ces dernières sont des vecteurs et stimulants de l’exploration réflexive. Ainsi que l’a montré le neurologue Antonio R. Damasio, elles sont indispensables au fonctionnement de la rationalité[17]. Edward W. Taylor les désigne même comme le «gouvernail de la raison»[18]. La conjonction entre la rationalité et les émotions serait source d’une plus grande confiance en soi, de courage et de force pour l’action tant intérieur qu’extérieure.

Ensuite, comme l’indique l’étymologie, les émotions sont le «mouvement» de la vie en nous. Elles constituent une part essentielle de notre humanité. Sans elles, nous serions des robots. Elles jouent un rôle déterminant dans les interactions avec les autres, les choix existentiels, la priorisation des objectifs, la capacité de répondre aux événements et circonstances de l’existence ou encore les prises de décision. Plus spécifiquement, elles servent à la compréhension – au sens fort de «prendre avec» – de la situation à l’échelle globale, cruciale pour changer de perspective et apprendre à «habiter un monde commun» (porte oikos).

Il est difficile, à cet égard, de ne pas être frappé par le hiatus qui existe entre, d’un côté, l’abondance des informations sur la gravité des problèmes et, de l’autre, l’insuffisance des changements de comportement. L’une des raisons, bien étudiées par l’écopsychologie, est la division entre la tête et le cœur. Les faits, chiffres, images et arguments sur les désastres en cours et à venir nourrissent le mental, mais sans forcément descendre à l’intérieur pour venir toucher le cœur, au point que nous ressentions la nécessité d’un changement.

En même temps, s’il peut exister une forme d’indifférence ou d’insensibilité, personne n’est en réalité totalement épargné par les souffrances de la planète. Simplement, l’être humain va se prémunir contre les émotions qui émergent immanquablement quand il regarde la réalité en face: la peur, la tristesse, la culpabilité, l’impuissance, la colère, le sentiment d’injustice, la désillusion, le découragement, voire des formes de désespérance. Il les craint, car elles le dépassent, mettent en question son mode de vie et le renvoient à sa vulnérabilité. Pour se protéger de ces affects désagréables, difficiles à vivre et souvent déconsidérés socialement, un réflexe est de développer des mécanismes de défense en dissociant les composantes mentales et émotionnelles de l’expérience. Or, refouler, nier ou geler ses émotions pour fuir leur désagrément, a pour effet d’engourdir l’esprit, pousser au repli sur soi, à l’évasion dans la consommation et à la passivité politique. «Chaque acte de déni conscient ou inconscient est une abdication de nos capacités à répondre»[19], écrit Joanna Macy. Par cette dissociation ou division intérieure, qui nous déconnecte de la source d’énergie nécessaire à l’action transformatrice, la «vérité qui dérange» (Al Gore) devient une vérité qui paralysie.

Pour sortir du déni et de l’inertie, l’entrée dans la porte oikos requiert un acte de lucidité. Or, être lucide est plus qu’être informé et conscient intellectuellement. C’est être touché, ainsi que le souligne l’un des postulats de base du TQR: «Les informations sur les crises que nous affrontons, ou même sur nos réactions psychologiques, sont insuffisantes. Nous ne pouvons nous libérer de nos peurs de souffrir ‒ y compris de nous retrouver définitivement enlisés dans le désespoir ou brisés par le chagrin ‒ que lorsque nous nous autorisons à ressentir ces émotions[20].» À cet égard, Joanna Macy aime citer le moine bouddhiste Thich Nhat Hanh qui, à des disciples lui demandant quoi faire face aux périls écologiques, répondit une fois: «Ce dont nous avons le plus besoin pour sauver la Terre, c’est d’écouter en nous les échos de la Terre qui pleure[21].» Dans la même veine, le pape François appelle à «prendre une douloureuse conscience, oser transformer en souffrance personnelle ce qui se passe dans le monde, et ainsi reconnaître la contribution que chacun peut apporter»[22].

La conviction de Joanna Macy est que les émotions sont thérapeutiques et mobilisatrices. Elles ne deviennent paralysantes que si on les réprime. Entrer dans son ressenti est une condition sine qua non pour prendre au sérieux les problèmes, pour que les dégradations écologiques nous concernent vraiment et pour avoir le désir de s’engager. «Quand les gens sont en mesure de dire la vérité au sujet de ce qu’ils voient, sentent et savent par rapport à ce qui se passe dans leur monde, une transformation se produit. Ils ont une volonté accrue d’agir et un regain d’appétit pour la vie[23].» Cela vaut également pour les étudiants universitaires, ainsi que le souligne Mathilde Vandaele, assistante-doctorante à l’université de Lausanne, dans son passionnant travail de master en études environnementales: «La reconnaissance des émotions dans le milieu académique et la prise en compte de la conscience émotionnelle critique comme un résultat essentiel de l’apprentissage, rendraient les étudiants universitaires de tout programme capables d’utiliser de manière adéquate la force motivationnelle des émotions face aux dérèglements climatiques»[24].

Dans l’étape «Honorer notre douleur pour le monde», le TQR offre plusieurs exercices pour évoquer les souffrances du vivant, permettre aux participants de dire comment ils les vivent et ce que cela suscite en eux comme sentiments. On peut mentionner par exemple le «bestiaire», rituel funèbre sur la disparition des espèces animales, et les «phrases ouvertes», pratique d’écoute empathique en binômes.

Traversée de l’écoanxiété

Une fois que l’on a considéré sérieusement les problèmes et ressenti les affects que cela provoque, encore faut-il savoir quoi en faire? Car les émotions peuvent nous envahir ou nous submerger, au point d’en être profondément perturbés, prisonniers, et d’en souffrir durablement aux plans psychique et somatique. Les psychothérapeutes, les médias et les enquêtes d’opinion l’attestent: un nombre croissant de personnes souffrent de «mal à la terre» décrit sous différents termes : écoanxiété, solastalgie, effondralgie, etc.

Les jeunes sont particulièrement touchés. Une étude publiée en septembre 2021 dans la revue scientifique The Lancet Planetary Earth[25] sur la base d’une enquête auprès de 10’000 jeunes de 15 à 24 ans dans dix pays, montre que près de 60% sont «très» ou «extrêmement» préoccupés par les dérèglements climatiques et plus de 50% se sentent aussi tristes, anxieux, en colère, impuissants et coupables. Phénomène impensable il y a encore quelques années à l’université, des professeurs racontent voir des jeunes fondre en sanglots à l’évocation de la sixième extinction des espèces. Beaucoup se retrouvent perdus et déprimés après des cours sur les problèmes planétaires à l’heure de l’anthropocène. Un sondage réalisé par Mathilde Vandaele au sein de l’Université de Lausanne atteste l’impact profond que peuvent avoir des études consacrées aux enjeux globaux de la durabilité. Elles sont sources d’instabilité émotionnelle, de questionnements existentiels et de vulnérabilité accrue.

Le TQR constitue un outil avéré pour travailler et traverser ce mal-être lié aux déséquilibres planétaires. Par l’enracinement initial dans la gratitude, il crée un champ intérieur et énergétique permettant de l’éclairer différemment. Par la membrane du groupe, il offre un espace d’écoute et de soutien. Par l’invitation à l’action, il offre ce qui est considéré comme l’un des meilleurs remèdes à l’écoanxiété. Mais surtout, à travers l’étape d’«honorer notre douleur pour le monde», il propose un processus de métamorphose des ressentis souffrants.

On peut distinguer trois moments dans ce processus. D’abord, oser regarder en face les dégradations planétaires. Ensuite, même si elles ne sont pas faciles à vivre, ne pas refouler les émotions générées par cet acte de lucidité, mais les accueillir sans jugement et les nommer: la tristesse, la peur, l’impuissance, la colère, la culpabilité, le désespoir… Enfin, exprimer et partager ces émotions. On découvre alors que d’autres personnes vivent les mêmes sentiments, lesquels deviennent, du coup, une réaction légitime et salutaire, pour ne pas dire un signe paradoxal de «bonne santé». Cela permet de se sentir moins seul, d’ouvrir un espace où la compréhension mutuelle, la compassion, la solidarité et le soutien peuvent se manifester.

Si exprimer et partager ces émotions revient à en reconnaître la valeur et la légitimité, il ne s’agit pas en même temps de les cultiver, avec le risque de s’y engoncer encore plus. Le but est, au contraire, de les composter, d’en transformer l’énergie en engrais pour l’engagement. Car chaque émotion est comme une médaille à deux faces: la peur a comme envers la confiance, la colère la soif de justice, l’impuissance l’ouverture à d’autres possibles, la tristesse l’amour. En effet, si, pour prendre cet exemple, ce qui arrive à la Terre nous rend tristes, c’est que nous l’aimons. En faisant poindre l’énergie d’amour enfermée dans celle de la tristesse, on éveille ou ravive le désir d’en prendre soin.

Plusieurs exercices de l’étape «honorer notre douleur pour le monde» participent de ce compostage. On peut mentionner en particulier deux rituels. D’une part, le «cairn des lamentations», où les participants sont invités à venir déposer au centre d’un cercle un élément naturel collecté lors d’un temps de recueillement dans la nature, en racontant ce qu’il évoque comme perte et dégradation chères à leur cœur et ce qu’il symbolise comme émotion. D’autre part, le «mandala de nos vérités». Dans ce puissant exercice, l’invitation est d’entrer à tour de rôle au milieu d’un espace sacré et d’exprimer une ou plusieurs émotions en se saisissant des objets qui y sont déposés: un bâton pour la colère, une pierre pour la peur, des feuilles mortes pour la tristesse, un bol vide pour l’impuissance, un coussin pour toute autre émotion. Tous ces rituels se terminent par un temps de communion et de réconfort entre tous les membres du groupe. Cela peut prendre la forme d’un chant, d’une cathédrale de sons ou d’un échange de câlins.

Ce processus de métamorphose a de nombreuses vertus. «Il peut nous faire découvrir une nouvelle relation à notre monde et éveiller une passion pour la protection de la vie, tout en nous ancrant dans une appartenance mutuelle plus forte que nos peurs et même que nos espoirs»[26], estime Joanna Macy. Nombre des participants à des ateliers de TQR témoignent à quel point ces partages d’émotions non seulement les ont libérés et reconnectés aux autres ainsi qu’à la toile du vivant, mais ont aussi (r)allumé en eux une étincelle d’espoir, révélé des forces insoupçonnées, suscité le désir de réponses créatives.

Expérience du soi écologique

Réaliser la grande transition écologique et sociale implique, nous l’avons dit, d’aller aux racines des problèmes. Ces dernières sont culturelles, psychologiques et spirituelles. Selon les écopsychologues et Joanna Macy, elles sont liées au fait que l’être humain occidental s’est séparé du reste du vivant. Avec pour conséquence une série de dualismes – cristallisés par la modernité – dont nous avons hérité et qui sous-tendent le système croissanciste, productiviste et consumériste qui détruit la planète. Changer de paradigme, c’est changer d’imaginaire, revisiter notre système de valeurs, de sens et de représentations.

L’émergence d’une nouvelle manière de voir, écocentrée et non égocentrée, est l’un des enjeux majeurs de l’apprentissage transformatif dans une optique de «grande transition». Elle concerne en particulier les portes logos et dynamis. La visée est double. D’abord, sortir de la représentation matérialiste et désenchantée de la nature comme objet et stock de ressources, pour lui redonner une âme, la voir comme un organisme vivant, créatif, symbiotique, où tous les êtres – humains et autres qu’humains – sont interdépendants et ont une valeur intrinsèque. Ensuite, passer de l’idée d’un moi «séparé» de la nature à la conscience d’un soi relié et reliant, souligné par le Manuel de la grande transition à travers la notion africaine d’ukama. Ce concept global «désigne la “relationalité” à l’œuvre dans le monde entre les êtres vivants, humains et non-humains, mais aussi plus largement non-vivants». Son application intègre la «reconnaissance des sensations et des sentiments dans le processus d’apprentissage»: je suis «parce que je sens, je ressens, je suis en connexion émotionnelle, sensible et psychologique avec mon entourage, naturel et humain»[27]. Joanna Macy ajoute une dimension temporelle à cette conscience identitaire: je suis parce que je m’inscris dans «le flux continu de la vie sur la Terre, qui a coulé depuis plus de trois milliards et demi d’années et qui a survécu à cinq extinctions massives»[28]. Nous sommes le fruit de la longue histoire de l’évolution que nous portons jusque dans la dernière de nos cellules et les zones les plus profondes de notre inconscient.

La découverte des profondeurs cachées de notre identité et de son caractère relationnel, est précisément ce que vise le TQR. Non au moyen d’exposés théoriques, même s’ils ne sont pas exclus à priori, mais à travers des expériences vécues de reliance mobilisant le corps, les sens, l’imagination et même l’inconscient. Cela peut prendre plusieurs formes, selon les exercices proposés, notamment dans les étapes de «s’enraciner dans la gratitude» et «porter un nouveau regard». Dans la «marche en miroir», chaque participant va, à tour de rôle, faire découvrir à l’autre membre de son binôme – en silence et par tous ses sens – la richesse et la diversité de la nature alentour. Les ateliers peuvent inclure des moments en solo dans la nature sauvage, en lien notamment avec ce que l’on peut appeler un «refuge Gaïa», un lieu-source qui nous a comme appelés et où nous nous sentons bien, où nous revenons et avec lequel nous tissons des relations de plus en plus profondes. Cela va de l’exploration multisensorielle du vivant à l’établissement d’une relation de communion avec un élément – un arbre par exemple. Il s’agit, dans le sillage des écopsychologues David Abram et Bill Plotkin, de développer une réciprocité intersubjective où l’on va, par exemple, toucher et être touché, voir et être vu, entrer en conversation, s’adresser à un être autre qu’humain en se mettant à son écoute, comme s’il nous entendait et nous parlait.

Quant à l’expérience du temps profond, on peut y goutter dans l’exercice des «entrecroisements», quand, les yeux fermés, les deux participants qui se font face se prennent les mains en écoutant un texte qui leur fait revivre l’évolution et les expériences de la main humaine depuis l’époque où elle était encore une nageoire dans l’océan primordial. Un voyage dans le temp – en l’occurrence des origines de notre planète à aujourd’hui – que propose également, sous forme de méditation accompagnée de musique ou de tambour, le récit du long souvenir. On mobilise ici l’« inconscient écologique», non seulement lié à nos parents et aux générations qui nous ont précédés, mais aussi à la Terre, cette autre mère dont nous sommes nés, qui nous porte et nous nourrit. L’un des pionniers de l’écopsychologie, Theodore Roszak, le définit comme la «mémoire vivante de l’évolution cosmique»[29], qui habite et anime les strates les plus archaïques de la psyché humaine.

Tous ces exercices permettent de dépasser les limites de l’ego individuel, familial et sociétal humain pour incarner le «Soi écologique», notion chère au père de l’écologie profonde Arne Naess. Nous seulement nous sommes partie intégrante du grand tout cosmique, mais la nature – avec tous ses règnes et ses cycles – est inscrite dans notre être. Dans notre corps et dans notre âme. La psychologue Chellis Glendinning parle à cet égard de la «matrice primitive[30]»: une dimension de la psyché où l’être participe en plénitude – par tous ses sens et sa respiration – aux rythmes et aux énergies de la Terre, aux mouvements du soleil et des étoiles.

Cette reconnexion corporelle, psychique et spirituelle avec la Terre et tous les êtres qui l’habitent est clé non seulement pour nous guérir nous-mêmes, mais aussi pour nous inciter à des actions collectives. Comme le dit Joanna Macy, «la perception de ce dont nous sommes capables est liée à notre sens de qui et de ce que nous sommes»[31]. Nombre d’études «démontrent que les personnes qui font l’expérience d’une connexion forte avec la nature sont plus enclines à soutenir des actions politiques écologiques et à adopter des modes de vie durables»[32].

Dans cette nouvelle conscience, le sens du pouvoir change. Au pouvoir sur, fondé sur un modèle de possession et de domination où l’autre est un concurrent, se substitue le pouvoir de et avec, centré sur un modèle de coopération où l’autre devient un allié. La peur fait place à la confiance. «La question directrice passe de “Que puis-je gagner?” à “Que puis-je donner?”»[33]. De l’ordre du faire et de l’être plutôt que de l’avoir, le pouvoir de et avec s’accroît à partir du moment où il se partage, s’inscrit dans des partenariats et des processus d’intelligence collective qui rendent possible ce que nous ne pouvons accomplir seul.

Culture d’une éthique des vertus

Dans la porte ethos, le Manuel de la grande transition évoque l’éthique des vertus parmi les grandes théories morales servant à éclairer la prise de décision et l’action. Il entend par vertus les «traits de caractère ou les dispositions à agir que devraient cultiver les individus qui aspirent à mener une vie éthique»[34]. Il rejoint, entre autres, le pape François qui, dans son encyclique Laudato si’, appelle à cultiver les «vertus écologiques» ainsi que la philosophe Corine Pelluchon qui a fait de l’éthique des vertus une dimension culturelle majeure de la transition écologique et sociale, au-delà des devoirs ou des interdictions qui ne suffisent pas à rendre possible le passage de la pensée à l’action. Il s’agit, dit-elle, d’«une approche de la morale qui se caractérise par le fait que l’on ne s’intéresse pas exclusivement aux normes et aux principes de l’action, mais que l’accent est placé sur les motivations concrètes des agents, sur l’ensemble des représentations, des émotions et des affects qui déterminent leurs manières d’être[35].»

Les vertus sont également au centre du TQR. Dans le développement des compétences émotionnelles, capitales dans l’apprentissage transformatif, il ne s’agit pas seulement d’apprendre à gérer les émotions difficiles et à bas niveau vibratoire comme celles qui alimentent l’écoanxiété, mais aussi de valoriser et cultiver les émotions positives et à haut degré vibratoire qui nourrissent les attitudes et engagements écologiques. Le TQR promeut une série d’émotions ou dispositions intérieures qui rejoignent en bonne partie celles mentionnées par le Manuel de la grande transition: l’humilité, la responsabilité, la sobriété, la coopération, le respect ou encore la joie. Trois cependant font l’objet d’une attention et d’un soin particuliers: la gratitude, la compassion et l’espérance.

D’abord, la gratitude. Elle est au cœur de la première étape. Que ce soit à travers une méditation sur les quatre éléments, des phrases ouvertes où l’on va se remémorer un lieu enchanteur de son enfance ou évoquer les moments où l’on se sent vraiment vivant sur la terre, ou encore dans l’exercice des entrecroisements où l’on va remercier d’autres participants pour leur présence et ce qu’ils sont, le TQR offre de multiples occasions d’en faire l’expérience. Il s’agit, dans le souffle d’un grand merci jaillissant du cœur, de s’émerveiller du miracle permanent de la vie, de la générosité et de la beauté du vivant, de tout ce qui nous est offert à chaque instant: l’air que nous respirons, les plantes qui nous nourrissent et nous soignent, les proches qui nous aiment… Joanna Macy souligne trois composantes de la gratitude: la valorisation de ce qui a (eu) lieu et de ce qui nous tient à cœur ; la reconnaissance de l’événement ou de la personne qui en est l’origine; la capacité à resituer ce qui nous arrive – même de négatif – dans un ensemble plus large qui contient aussi du positif. Source de résilience, de confiance, de courage, la gratitude renforce notre capacité à regarder la réalité en face, à digérer les informations négatives. L’un de ses effets est, en accroissant le contentement pour ce que l’on a par rapport à l’insatisfaction de ce qui nous manquerait, d’apporter un remède au consumérisme.

Ensuite, la compassion. Elle est au cœur de l’étape «honorer notre douleur pour le monde». Elle découle de notre conscience vécue de l’interdépendance avec les autres – humains et autre qu’humains. De par notre unité ontologique avec tout le vivant, auquel nous appartenons et qui est partie intégrante de notre être, ce que nous faisons à notre corps et à notre âme, c’est à la Terre que nous le faisons, et inversement. L’occasion d’une telle expérience est, par exemple, le «conseil de tous les êtres» que Joanna Macy a cocréé avec John Seed, défenseur australien de la forêt tropicale qu’elle rencontré en 1985. Dans ce rituel, les participants sont invités à «penser comme une montagn », selon l’expression d’Aldo Leopold, et à se décentrer. Il s’agit de déposer les oripeaux de leur moi humain pour prendre l’identité d’un autre être de la nature, endosser un masque qui représente ce dernier et lui donner une voix. Une manière d’incarner le «soi écologique», mais aussi d’entrer en empathie et compassion avec des êtres autres qu’humains dont il s’agit d’exprimer le vécu et le ressenti – aussi souffrant – par rapport à l’évolution de la planète.

Enfin, l’espérance. «En mouvement», précise Joanna Macy qui en fait la clé de sa troisième histoire, celle du changement de cap. Pour elle, «le genre de réponses que nous donnons [à l’état du monde] et l’intensité de notre engagement dans ces actions, dépendent de la façon dont nous envisageons l’espérance et de comment nous la ressentons»[36]. Il convient en particulier de distinguer entre l’«espoir passif», qui revient à attendre des solutions de l’extérieur, et l’«espérance en mouvement» qui sourd de notre désir intérieur et nous motive à agir pour que ce dernier se réalise. Indissociable de la lucidité, et donc différente de l’optimisme, elle est avant tout «une pratique», un «processus» dont la «force motrice est l’intention». Quelque chose que l’on «fait» plutôt que l’on «a». Elle consiste à «identifier vers quoi nous souhaitons aller et exprimer les valeurs qui nous tiennent à cœur», à définir le rôle que nous voulons jouer, puis à «suivre cette direction et à adapter la situation en conséquence»[37]. De même que l’huître fait pousser une perle en réponse à un traumatisme, nous devons cultiver l’espérance comme un don de notre être à offrir au monde[38].

En ce sens, on peut voir le TQR comme un outil pour promouvoir et construire l’espérance. Celle-ci en est à la fois le cœur, l’énergie porteuse et la ligne d’horizon. Chaque exercice y participe d’une manière ou d’une autre et contribue à sa manifestation. Il importe donc d’intégrer l’espérance dans les démarches d’apprentissage transformatif et, plus globalement, dans les pédagogies innovantes pour la «grande transition». Cela, d’autant plus qu’il est vital de répondre à l’écoanxiété ainsi que de résister au découragement et au désespoir générés par les informations négatives auxquelles nous sommes quotidiennement exposées. C’est, par exemple, l’avis de l’expert en éducation à l’environnement David Orr, proche des écopsychologues, qui considère l’espérance comme un «impératif» face aux enjeux actuels. Elle requiert, dit-il, «le courage d’aller plus loin, creuser plus profond, se confronter à nos limites, travailler dur et rêver nos rêves»[39].

On retrouve globalement cette même posture chez Mathilde Vandaele qui, en s’inspirant notamment de Joanna Macy, a consacré son mémoire de master à l’espérance comme force génératrice et constructive face aux dérèglements climatiques[40]. Les résultats de l’étude empirique qu’elle a menée montrent bien la double composante, cognitive et émotionnelle, de l’espérance. La dimension cognitive permet d’identifier les buts désirés, de concevoir des futurs désirables et possibles ainsi que d’imaginer les moyens et les voies pour les atteindre – individuellement et collectivement. La dimension émotionnelle renvoie à la motivation d’agir et à la capacité d’initier et soutenir un mouvement, en dépit de l’incertitude et de l’adversité. Mathilde Vandaele, qui œuvre à sa promotion dans les institutions universitaires, définit l’«espérance constructive» comme une «émotion positive et une nécessité existentielle pour naviguer sur les eaux de l’incertitude et des menaces environnementales globales. Elle donne aux étudiants la force d’affronter le futur et les empêche de sombrer dans le cynisme ou la passivité»[41].

Plus le sentiment d’espérance sera vivant, plus sera fort le désir d’adopter des comportements écologiques en termes tant de changement de mode de vie que d’engagement politique pro-actif. On entre, de fait, dans un cercle vertueux: si l’espérance est source d’action, l’action en retour nourrit l’espérance. S’engager pour une cause ou un but qui nous transcende donne de l’énergie et du sens.

Encouragement à l’action

Ces considérations sur l’espérance, au carrefour de la vertu et de la pratique, nous conduisent à un autre apport du TQR à l’apprentissage transformatif pour la grande transition. C’est la quatrième étape de la spirale – «aller de l’avant» – qui nous fait entrer de plain-pied dans la porte de la praxis. Il s’agit de découvrir ce que nous pouvons faire, concrètement, pour manifester l’espérance en mouvement dans le quotidien, l’existence et les structures, et contribuer à l’émergence d’une société qui soutient le vivant.

Joanna Macy propose plusieurs axes pour l’engagement individuel et collectif, qui rejoignent de manière générique les innombrables pistes proposées par le Manuel de la grande transition: des actions de résistance et de régulation; la création d’alternatives; un travail de réflexion pour faire évoluer les visions du monde et les systèmes de valeurs; un chemin de conscience et de transformation spirituelle. À quoi on pourrait ajouter des changements de nos modes de vie et le tissage de ce qu’elle appelle des «réseaux de tempête», c’est-à-dire des espaces communautaires de résilience face aux effondrements.

Quels que soient l’axe ou les axes choisis, l’important est de passer d’une écologie du «il faut», tapissée d’obligations ou d’injonctions de tous ordres, à une écologie du désir. Car seule une aspiration forte pour une destination qui nous enflamme est à même de nous donner l’énergie et la détermination pour traverser les obstacles qui ne manqueront pas de surgir sur notre chemin. La clé, autrement dit, est de se connecter à son désir personnel profond : qu’est-ce qui est le plus vivant et vibrant au fond de moi? Dans quelle histoire ai-je envie de m’engager? Dans quel monde ai-je envie de vivre? Quelle peut être ma part de colibri à sa construction et à son avènement? Il convient en effet de se libérer du sentiment – souvent très ou trop lourd à porter – que nous devons tout résoudre. «Au lieu de cela, nous nous concentrons plutôt sur comment trouver et jouer notre rôle, offrir notre don d’espérance en mouvement qui représente notre meilleure contribution à la guérison de notre monde»[42].

Un exercice en binôme, que l’on peut faire ou non en marchant et en résonance avec les centres énergétiques de son être (chakras), consiste à faire émerger un projet dont nous rêvons et aligné à notre mission de vie, à discerner nos dons et talents intérieurs ainsi que les ressources extérieures déjà là ou encore à acquérir, à débusquer les freins et obstacles au dehors et au-dedans, à définir les premiers pas à accomplir, puis à aller le présenter au vivant avant de le partager avec les autres membres du groupe, qui pourront offrir des conseils et des coups de pouce. Un autre exercice, intitulé «dialoguer avec Mara[43]», vise à renforcer notre résolution en puisant dans la force de la Terre et du Ciel pour identifier et dépasser les doutes, peurs et autres tentations qui peuvent nous freiner ou nous empêcher d’avancer dans le changement de cap. Joanna Macy recommande de ne pas écouter les voix intérieures qui nous murmurent que nos objectifs sont irréalistes et que nos efforts ne serviront à rien.

D’une manière ou l’autre, il s’agit de cultiver les dimensions de la vie qui sont les plus importantes pour nous et pour lesquelles nous avons dit merci, de chercher des réponses intelligentes et créatives aux problèmes et défis que nous avons reconnus, de développer des actions constructives, individuelles et collectives, qui vont incarner la nouvelle conscience naissante. Joanna Macy recommande de suivre «la boussole intérieure de notre joie profonde» et d’entretenir le feu de l’enthousiasme, ressource non seulement renouvelable mais en réalité inépuisable. Cela, en œuvrant à partir de ce qui nous motive et nous fait plaisir, mais aussi en apprenant à voir les résultats avec des yeux nouveaux, les «succès» et les «échecs» n’étant pas forcément ce que nous pensons.

Dans cette étape, l’imagination joue un rôle important. Rob Hopkins, initiateur du mouvement des villes en transition, en a montré la puissance de mobilisation avec sa démarche «Et si…»[44]. Deux mots magiques qui nous disent que pour inventer le monde de demain et bâtir de nouveaux possibles, il convient d’abord de les rêver avec d’autres, donc de libérer notre imaginaire, personnel et collectif, et de stimuler notre créativité. Pour pouvoir émerger et se déployer, la puissance de l’imagination a besoin de plusieurs choses. D’abord, d’espaces préservés, loin des écrans et de l’agitation quotidienne, pour rêvasser, méditer, goûter l’instant présent, prendre du temps avec ses proches et se reconnecter au vivant. Ensuite, une aspiration forte au changement désiré. Enfin, pilier transversal du modèle des «six portes», la capacité à collaborer avec d’autres acteurs, comme les élus, les entreprises, les institutions et les organisations de la société civile.

Ces différentes conditions sont offertes par un atelier de TQR. Si ce dernier ne prévoit pas, à proprement parler, de création de récits de futurs désirables, rien n’empêche de le proposer dans un atelier, en s’inspirant des nombreuses initiatives qui fleurissent un peu partout. Il y a cependant un exercice très touchant, à la jonction de l’espérance en mouvement et de l’engagement, qui mobilise notre imagination en nous projetant sept générations plus tard, dans une époque où la «grande transition» a eu lieu avec succès. Un dialogue s’instaure entre des personnes d’aujourd’hui et des représentants de cette génération future. Ces derniers viennent exprimer leur gratitude pour ce qui a été accompli et qui leur permet d’avoir une vie digne dans un environnement sain, mais aussi demander à leurs grands ancêtres (les générations présentes) comment ils vivaient les catastrophes écologiques et climatiques, quels ont été leurs premiers pas pour en sortir et ce qui les motivait en profondeur. La plupart des participants vivent ces rencontres avec une grande émotion et en ressortent pleins d’espérance et avec un désir galvanisé de s’engager.

III. Mise en œuvre universitaire

Comment proposer au sein du monde académique le TQR et ses apports à l’apprentissage transformatif pour la «grande transition»? Cela n’a rien d’évident, tant l’enseignement universitaire reste marqué par des méthodes pédagogiques transmissives, un manque d’ouverture à l’inter- ou à la transdisciplinarité, un mode de connaissance centré sur la rationalité, le plus souvent déconnecté du cœur et des mains. En même temps, ainsi que nous l’avons vu, le TQR a beaucoup à offrir, avec – à l’appui – un éventail potentiel de références scientifiques non négligeable. Son inscription dans le milieu universitaire est d’autant plus nécessaire, actuelle et même urgente – en particulier dans les filières ayant pour contenus les défis écologiques globaux – que la génération en formation est frappée de plein fouet par le syndrome de l’éco-anxiété et aura un rôle crucial à jouer pour la grande transition : «Nous sommes la première génération à vivre les conséquences du dérèglement climatique, et la dernière à pouvoir y faire quelque chose», déclare Camille Estier. Et d’ajouter : «Il n’est jamais trop tard pour que ce soit pire. Mais il est toujours temps pour que ce soit moins injuste[45].» Le développement d’une sensibilité et de compétences en durabilité forte est donc cruciale, en termes non seulement intellectuels, mais aussi socio-émotionnel.

Conditions pratiques

Le TQR a à son actif d’être très malléable et adaptable à toutes sortes de contextes et de publics. Si un atelier complet se déploie en principe sur quatre à cinq jours dans un espace de nature, il peut être décliné dans des durées variables allant d’une à deux heures à un ou deux jours, également en intérieur. Comme le souligne un aumônier, qui en a déjà proposé trois dans le cadre de l’Université de Lausanne, des ateliers complets ne vont pas sans difficultés ni bémols: gros efforts d’organisation, mobilisation de deux personnes facilitatrices pour un petit nombre de personnes (en général dix à seize), impacts durables sur les participants limité et dificile à mesurer, tension entre, d’un côté, la nécessaire transparence et information en amont sur les activités et, de l’autre, le besoin d’une certaine retenue ou discrétion pour ne pas effrayer et conserver l’effet de fraîcheur, voire de surprise, de certains exercices, etc. En revanche, des ateliers courts avec des choix d’exercices ad hoc se prêtent bien à une grande variété d’occasions et d’événements. Conséquence négative, leur durée raccourcie ne permet pas d’aller très profond et les effets sont moins pérennes.

Quelle que soit la durée, dans la mesure où les ateliers de TQR impliquent en général des partages émotionnels, des contacts physiques, des exercices de méditation, bref différentes pratiques auxquelles tout le monde n’est pas d’emblée réceptif et qui peuvent conduire en dehors de sa zone de confort, il importe que la participation se fasse sur une base volontaire, en toute connaissance de cause. Cela signifie aussi, du coup, que toutes les personnes qui en ont besoin n’auront pas forcément le courage de s’y engager.

Une autre condition est qu’un cadre de sécurité soit clairement défini et tenu, que les personnes facilitatrices soient bien formées, aient de l’expérience et puissent resituer ce qui va se vivre – notamment en termes d’émotions difficiles – dans perspective de sens et de sagesse. Les exercices et le partage d’émotions impliquent, pour être effectifs, profonds et féconds, un grand degré de confiance et de lâcher-prise. Faire appel aux affects ainsi qu’à l’expression et à l’accueil de vécus intimes et de ressentis souffrants, n’est pas anodin. Des risques de dérapage émotionnel, de décompensation psychologique voire de manipulation existent, dont il faut être conscient[46].

Pistes concrètes

Sur la base d’expériences et de projets à l’Université de Lausanne[47] et à l’Université Paul-Valéry de Montpellier[48] ainsi que des réflexions stimulantes de Mathilde Vandaele, plusieurs pistes de mise en œuvre du TQR dans le milieux académique sont possibles. En voici quelques-unes, non exhaustives:

Au-delà de la mise en œuvre des différents apports que nous avons mentionnés, toutes ces activités ne peuvent avoir que des effets positifs sur la culture et le climat de l’institution universitaire ainsi que du milieu estudiantin, ne serait-ce qu’en stimulant des dispositions intérieures comme la gratitude, la confiance, la solidarité, la coopération ou encore l’esprit communautaire.

Conditions de réalisation

Certaines de ces pistes sont déjà présentes dans le monde universitaire. Leur existence repose en général sur le bon vouloir de professeurs et l’initiative de personnes ouvertes et pionnières[51]. Selon les contextes, l’introduction de pratiques de TQR dans le milieu universitaire peut être compliqué et difficile. Cela demande plusieurs conditions: une forte conviction et motivation des initiateurs, l’identification et l’utilisation des interstices et espaces de liberté dans les structures, une argumentation solide fondée sur des références apportant une légitimité scientifique, la recherche d’alliés au sein et hors de l’institution, du doigté et de l’intelligence dans la formulation des projets[52] ou encore l’inscription dans des démarches interuniversitaires et nationales à l’instar, en France, de l’Accord de Grenoble signé en avril 2021[53].

Ces propositions directement liées au TQR sont complémentaires de tout ce qui, plus largement et sur la base notamment du Manuel de la grande transition, pourrait être mis en place et changé en faveur du changement de cap, de la durabilité forte et d’un encadrement écopsychologique, que ce soit au niveau des structures et de la gouvernance de l’institution, des programmes de cours et de recherche, des méthodes d’enseignement, des interactions entre étudiants et avec le corps enseignant qui est appelé à changer de posture vers davantage d’horizontalité. Il est notamment important de développer l’esprit critique, la pensée complexe et systémique, les approches holistiques ainsi qu’inter- ou transdisciplinaires, voire encore de valoriser le militantisme (éco)citoyen ainsi que les engagements extra-universitaires. D’où l’importance de ne pas vivre, travailler et étudier en vase clos, mais d’œuvrer en partenariat avec des experts et intervenants externes.

Notes

[1] Collectif fortes, Manuel de la grande transition, Les Liens qui libèrent, 2020.
[2] Idem, p. 350.
[3] Idem, p. 355.
[4] Idem, p. 350.
[5] Voir notamment Jack Mezirow, Transformative Dimensions of Adult Learning, San Francisco, Jossey Bass Publishers, 1991.
[6] Michel Alhadeff-Jones, « Transformative Learning », in : Christine Delory-Momberger (dir.), Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique, Eres, 2019, p. 263.
[7] Jack Mezirow, Learning as Transformation : Critical Perspectives on a Theory in Progress, San Francisco, Jossey-Bass, 2000, p. 5.
[8] Joanna Macy & Molly Young Brown, Ecopsychologie pratique et rituels pour la Terre, Gap, Le Souffle d’Or, 2021.
[9] Joanna Macy et Chris Johnstone, L’espérance en mouvement, Genève, Labor et Fides, 2018.
[10] Mark Hataway, « Activating Hope in the Midst of Crisis : Emotions, Transformative Learning, and “The Work that Reconnects” », in : Journal of Transformative Education, décembre 2016, p. 1 ; http://markhathaway.org/files/activatinghope.pdf.
[11] « L’écologie ou la mort », Socialter, Hors-Série, no 12, décembre 2021.
[12] Joanna Macy et Chris Johnstone, L’espérance en mouvement, op. cit., p. 70.
[13] Des stages de TQR sont proposés en Belgique notamment par Terr’Eveille (www.terreveille.be) et en France par les Roseaux dansants (www.roseaux-dansants.org). Pour un calendrier de toutes les offres d’ateliers dans le monde francophone, qui se sont démultipliées ces dernières années : http://www.ateliersdetravailquirelie.sitew.fr/
[14] Collectif fortes, Manuel de la grande transition, op. cit., pp. 321-323.
[15] Voir notamment Daniel Goleman, L’intelligence émotionnelle, Paris, J’ai lu, 2014.
[16] Pour une vision synthétique, voir par exemple Edward W. Taylor, « Transformative learning theory : a neurobiological perspective of the role of emotions and unconscious ways of knowing », in Journal of Lifelong Education, vol. 20, No. 3, May-June 2001, pp. 218-236.
[17] D’Antonio Damasio, voir notamment Sentir et savoir : Une nouvelle théorie de la conscience, Paris, Odile Jacob, 2021 et L’erreur de Descartes : la raison des émotions, Paris, Odile Jacob, 2010.
[18] Edward W. Taylor, op. cit., p. 234.
[19] Joanna Macy, Despair and personal power in the nuclear age, Philadelphia, New Society Publishers, 1983, p. 16.
[20] Joanna Macy & Molly Young Brown, Ecopsychologie pratique et rituels pour la Terre, op. cit., p. 98.
[21] Idem, p. 135.
[22] Lettre encyclique Laudato si’ du pape François sur la sauvegarde de la maison commune, 2015, §19.
[23] Joanna Macy et Chris Johnstone, L’espérance en mouvement, op. cit., p. 106.
[24] Mathilde Vandaele, Hope as a generative force, Lund University Centre for Sustainability Studies, 2020, p. 52. Les résultats de ce mémoire ont été co-construits avec les étudiant.e.x.s en science de la durabilité qui participaient à la recherche. La plupart des avancées de cette étude ont été rendues possibles par les discussions et idées partagées lors des interviews.
[25] Voir Margaux Lacroux, « Tristes, effrayés, abandonnés… De nombreux jeunes en détresse face à la crise climatique », Libération, 14 septembre 2021 ; https://www.liberation.fr/environnement/climat/tristes-effrayes-abandonnes-de-nombreux-jeunes-en-detresse-face-a-la-crise-climatique-20210914_J5NIYUN6Z5GH5A4NOX5YDJH3ZU/
[26] Joanna Macy & Molly Young Brown, Ecopsychologie pratique et rituels pour la Terre, op. cit., p. 21.
[27] Voir Collectif fortes, Manuel de la grande transition, op. cit., pp. 352-353.
[28] Joanna Macy et Chris Johnstone, L’espérance en mouvement, op. cit., p. 71.
[29] Theodore Roszak, The Voice of the Earth, Grand Rapids, Phanes Press, 1992, p. 320.
[30] Chellis Glendinning, My Name is Chellis & I’m in recovery from Western Civilization, Boston, Shambhala Publications, 1994, p. 35.
[31] Joanna Macy et Chris Johnstone, L’espérance en mouvement, op. cit., p. 121.
[32] Mark Hathaway, op. cit., p. 6.
[33] Joanna Macy et Chris Johnstone, L’espérance en mouvement, op. cit., p. 153.
[34] Collectif fortes, Manuel de la grande transition, op. cit., p. 117.
[35] Corine Pelluchon, « L’éthique des vertus : une condition pour opérer la transition environnementale », La Pensée écologique, 2017/1, no 1, https://www.cairn.info/revue-la-pensee-ecologique-2017-1-page-e.html.
[36] Joanna Macy et Chris Johnstone, L’espérance en mouvement, op. cit., p. 27.
[37] Idem, p. 28.
[38] Idem, p. 291.
[39] David W. Orr, Hope Is an Imperative, Island Press, 20010, edition numérique.
[40] Mathilde Vandaele, Hope as a generative force, op. cit. ; Mathilde Vandaele & Sanna Stålhammar, « “Hope dies, actions begins?” The role of hope for proactive sustainability engagement among university students », International Journal of Sustainability in Higher Education, Vol 23, No 8, août 2022, p. 272-289, https://doi.org/10.1108/IJSHE-11-2021-0463 .
[41] Mathilde Vandaele, Hope as a generative force, op. cit. p. 58.
[42] Joanna Macy et Chris Johnstone, L’espérance en mouvement, op. cit., p. 71.
[43] Dans la mythologie bouddhiste, Mara représente une figure antagoniste qui défie le Bouddha et tente de le distraire ou détourner de sa voie.
[44] Rob Hopkins, Et si… on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ?, Arles, Actes Sud, 2020.
[45] Camille Estier, « L’écologie ou la mort », Socialter, op. cit., p. 9.
[46] Sur ces aspects, voir Marc Roethlisberger, Prévention des risques psychologiques lors d’ateliers de sensibilisation à l’écologie, Gap, Le Souffle d’Or, 2021, ainsi que le site des écopsychologues Marie Romanens et Patrick Guérin, www.eco-psychologie.com.
[47] Plusieurs des pistes proposées existent ou sont en voie de réalisation sur le campus universitaire de Lausanne, à travers le Centre de compétences en durabilité, qui est un service à la direction (https://www.unil.ch/centre-durabilite/home.html). En avril-mai 2021, par exemple, ont eu lieu les « Escales durables » qui proposaient des ateliers d’écopsychologie et de durabilité (https://www.unil.ch/centre-durabilite/home/menuinst/actions-et-outils/les-escales-durables.html), comprenant du TQR. L’idée maintenant est d’inscrire ces activités dans la durée en proposant des rencontres, conférences et ateliers en présentiel et en ligne sur toute l’année. Un point fort est la création d’un « Espace transition », une forme de permanence dédiée à l’accompagnement de la communauté universitaire en lien avec l’écoanxiété. Un site internet « Portraits intérieurs » offre un espace pour briser le tabou des émotions, invitant les personnes à dire comment elles vivent les transitions écologiques en cours et à exprimer leurs ressentis face aux effondrements (https://wp.unil.ch/portraits-interieurs).
[48] Une partie de ces pistes proviennent d’entretiens avec : Angela Biancofiore, professeure d’art et de littérature italienne à la Faculté des lettres, responsable du Centre de recherche sur les Suds et les Orients ainsi que du Centre de théorie et pratique du care à l’Université Paul-Valéry de Montpellier (https://tepcare.hypotheses.org/)  ; Sarah Koller, chercheuse en Humanités environnementales et – au moment des entretiens – collaboratrice du Centre de compétences en durabilité de l’Université de Lausanne ; Xavier Gravend-Tirole, aumônier à l’École polytechnique fédérale de Lausanne.
[49] Des ateliers de TQR ont eu lieu lors de deux colloques – sur l’écopsychologie en 2019 et sur le care en 2021 – à l’Université Paul-Valéry de Montpellier.
[50] Une formation en apprentissage socio émotionnel existe depuis 2019 à l'Université Paul-Valéry de Montpellier pour le personnel enseignant et administratif. Voir https://formation03.webnode.fr/ et https://www.youtube.com/watch?v=63LJgZMXiEQ.
[51] Par exemple, c’est après avoir vécu lui-même avec enthousiasme un atelier de TQR que le philosophe Dominique Bourg, alors professeur à l’Université de Lausanne, a introduit des exercices de TQR dans le cursus 2017-2018 du master en Fondements et pratiques en durabilité forte.
[52] En 2019, pour son colloque sur l’écopsychologie qui a rassemblé un large public interfacultaire, craignant une résistance des psychologues, Angela Biancofiore a choisi pour titre «Narrativité et écopsychologie». Un biais qui accroissait l’acceptabilité du projet et lui donnait une légitimité en tant que professeure travaillant sur la place de l’écologie dans la littérature italienne.
[53] Une vingtaine d'établissements de l’enseignement supérieur – parmi lesquels HEC Paris, Polytech Grenoble et Essec Business School – ont signé fin avril 2021 l’Accord de Grenoble. Ils s’engagent à mettre en œuvre des plans d’action pour réaliser les onze objectifs de l’accord, qui vont de la formation des étudiants aux enjeux écologiques à la réduction des gaz à effet de serre. Une initiative portée par la COP2 Étudiante, une association qui veut faire basculer l’enseignement supérieur dans la transition écologique. Voir https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-rse/les-etudiants-creent-l-accord-de-grenoble-pour-pousser-leurs-etablissements-a-s-engager-dans-la-transition-ecologique-149762.htm

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