Un changement radical à la hauteur des enjeux

Écospiritualité

Le journal La Croix a décidé de consacrer en 2025 une place plus importante aux questions écologiques. Pour inaugurer cette nouvelle année, qui célébrera le dixième anniversaire de l’encyclique Laudato si’ sur la sauvegarde de la maison commune, le quotidien a proposé à une variété de personnes d’écrire un texte pour répondre à la question: comment les chrétiennes et les chrétiens peuvent-ils s’engager au service de la Terre ? Dans ma contribution, je souligne – pour nourrir l’engagement et lui donner sens – la nécessité d’aller à la racine des problèmes. L’enjeu est d’opérer un changement de paradigme, ce qui suppose une transformation de notre regard sur la nature.

«Un changement radical à la hauteur des circonstances». C’est, pour reprendre une expression de l’encyclique Laudato si’ (§171), à quoi nous appellent les bouleversements écosystémiques en cours. Le mot clé est «radical». Il est à comprendre au sens non pas d’extrême politique, mais d’aller aux racines des problèmes. Celles-ci sont psychoculturelles et spirituelles. Elles ont à voir avec le paradigme – les lunettes à travers lesquelles nous percevons le réel – à l’origine du système économique dominant qui épuise la Terre par sa démesure: une conception dualiste, anthropocentrique, matérialiste, masculine et désacralisée du cosmos et de l’être humain. Une vision à laquelle – il faut le reconnaître – une partie christianisme occidental n’est pas étrangère.

Révolution culturelle

Le défi est de changer de paradigme. Cela va plus loin que «sauvegarder la Création». Il s’agit d’opérer ce que le pape François appelle une «révolution culturelle courageuse» (§114). Le patriarche orthodoxe Bartholomée Ier le dit bien : l’écologie est «une question ontologique qui requiert une nouvelle manière d’exister, un changement radical d’attitude, une vision renouvelée et une perspective neuve».

Si l’enjeu est une telle «métanoïa» personnelle et collective, alors l’écologie extérieure à base de normes, de technologies vertes et d’écogestes au quotidien ne suffit pas. Elle doit être complétée et nourrie par une écologie intérieure. Une écospiritualité. C’est là que le christianisme peut avoir un apport important. A une condition toutefois: revisiter de manière critique et créative son corpus biblique et théologique, en dialogue avec la science contemporaine, l’écoféminisme et les autres traditions de sagesse.

Ouvertures panenthéistes

Qui dit «métanoïa» dit transformation du regard. Sur la nature d’abord. En Occident, elle a été désenchantée, privée d’âme, réduite à un objet, un stock de ressources ou une marchandise. «La crise écologique est la crise d’une culture qui a perdu le sens de la sacralité du monde», écrivait justement le métropolite orthodoxe Jean de Pergame. Un point capital est donc de redonner à la création sa dimension sacrée et de mystère. La mystique chrétienne offre une piste féconde pour cette entreprise: le panenthéisme. Une approche selon laquelle «tout est en Dieu et Dieu est en tout». A ne pas confondre avec le panthéisme qui revient à diviniser la nature («tout est Dieu»).

Laudato si’ contient de belles ouvertures panenthéistes : «L’univers est en Dieu qui le remplit tout entier. Il y a donc une mystique dans une feuille, dans un chemin, dans la rosée, dans le visage du pauvre» (§233). Et encore : «Toute la nature, en plus de manifester Dieu, est un lieu de sa présence. En toute créature habite son Esprit vivifiant qui nous appelle à une relation avec lui» (§88). L’Esprit saint, mais aussi le Verbe incarné en Jésus-Christ, dont il convient de redécouvrir la dimension cosmique. Pour la tradition orthodoxe, Dieu est notamment présent dans le cosmos pas ses énergies incréées qui sont puissance de vie, de création, de révélation et de sanctification.

Vertus écologiques

Mais encore faut-il percevoir cette présence et s’y ouvrir. «Quand commencerons-nous enfin à apprendre et à enseigner l’alphabet de ce langage divin si mystérieusement caché dans la nature?», s’interroge Bartholomée Ier. Pour cela, la raison seule ne suffit pas. «Les concepts créent des idoles de Dieu, le saisissement pressent quelque chose», disait Grégoire de Nysse (IVe siècle). Une «écologie intégrale» nécessite une «connaissance intégrale». Une connaissance qui intègre – en les reliant entre elles et au cœur – les intelligences sensorielle, émotionnelle, rationnelle et spirituelle. Ses moteurs sont l’émerveillement, qui est l’étreinte de la conscience par l’Esprit, et l’amour, si bien chanté par Dostoïevski : «Mes frères, aimez toute la création dans son ensemble et ses éléments, chaque feuille, chaque rayon, les animaux, les plantes. En aimant chaque chose, vous en comprendrez le mystère divin.»

Dans une perspective écospirituelle, la nature est donc plus qu’une réalité matérielle obéissant à des lois physiques et chimiques. Elle est un mystère habité d’une Présence. Elle n’est pas seulement l’habitat (oikos) de l’être humain – vision horizontale habituelle de l’écologie – mais aussi celui de Dieu. De cette expérience – car ce n’est pas seulement une idée – découlent trois attitudes intérieures que le pape François appelle des «vertus écologiques» (§88). D’abord, le respect, parce que nous ne sommes pas les propriétaires de la nature, mais ses hôtes, et que chaque créature a une valeur en soi, indépendamment de son utilité pour l’être humain. Ensuite, la gratitude, car la création nous est donnée avec son extraordinaire diversité sans laquelle nous ne pourrions pas vivre. Enfin, la responsabilité, car le jardin de la Terre nous a été confié pour que nous en prenions soin. Chaque créature est, à sa manière, une parole de Dieu dont et à laquelle nous devons répondre.

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