Eco-anxiété : un moteur possible pour l’engagement
ÉcopsychologieÀ force d’entendre que la planète se dégrade et que les espèces disparaissent, de percevoir de manière de plus en plus tangible les effets des dérèglements climatiques, un nombre croissant de personnes ont mal à la Terre. On parle notamment d’éco-anxiété. Un ensemble d’émotions douloureuses qui, dans la mesure où elles sont reconnues sans jugement et compostées, peuvent être une chance pour le vivant et un moteur pour le changement.
Pour commencer très simplement, cela consiste en quoi, l’éco-anxiété?
Depuis deux ou trois ans, en particulier avec les étés chauds qu’on a eus, les inondations et les autres catastrophes, la question du climat devient moins abstraite, plus tangible, pour beaucoup de gens. Certains éprouvent des sentiments d’angoisse, de peur, de colère, parfois de détresse face à la situation écologique actuelle. On parle du climat, mais pas seulement. Il y a une conjonction de signaux d’alarme qui s’allument en même temps. Nous recevons beaucoup d’informations sur la disparition des espèces, les oiseaux ou les abeilles par exemple. Les rapports à ce sujet sont juste effrayants. Cela va dans le sens de ce qu’on appelle la collapsologie, c’est-à-dire le fait de montrer, de manière scientifique, les risques d’effondrement de notre civilisation croissanciste, productiviste et consumériste, fondée en particulier sur la démesure matérialiste et les énergies fossiles.
Qu’est-ce que toutes ces informations suscitent chez les gens qui sont concernés?
Ce qui ressort beaucoup, c’est de la peur, de la tristesse. Certains se posent même la question de faire des enfants. Longtemps, les parents pensaient que la vie de leurs enfants serait meilleure que la leur. Aujourd’hui, beaucoup savent que ce ne sera pas le cas. Il y a aussi de la colère, contre les élites politiques ou économiques, qui, bien que l’on sache que l’on va droit dans le mur, ne font rien ou de loin pas assez. Les gens ont un sentiment d’impuissance. Cela peut causer des insomnies, des dépressions, des burn out ou même des idées de suicide.
Ces ressentis souffrants touchent notamment les personnes militantes. À force d’être en permanence dans la perspective de tout ce qui va mal, de tout ce qu’on devrait faire, certains finissent par s’épuiser. Ce qu’on retrouve aussi, c’est une forme de culpabilité: «Je sais tout ça, mais je continue à prendre l’avion ou à manger de la viande. Je n’en fais pas assez.» Dans ce genre de cas, il convient de ne pas culpabiliser. Tout le monde est incohérent, l’essentiel, c’est de se mettre en chemin.
Certains tentent d’être «parfaits»?
C’est vrai, il y a des gens, quelque part admirables, qui cherchent à être jusqu’au-boutistes. Très franchement, certains le vivent très bien, mais d’autres peuvent se fatiguer, parce que c’est très exigeant. Surtout, vous pouvez décider de changer à titre individuel. Mais, quand vous avez une famille, vos enfants, votre conjoint ne partagent pas forcément vos idées. Cela peut devenir une source de grandes tensions. Pour certains, cela peut aller carrément jusqu’à «ma vie de couple ou la planète».
Mais, finalement, est-ce qu’ils n’ont pas raison de s’inquiéter?
Oui, c’est sûr. Cela me paraît complètement sain et normal d’avoir ces sentiments-là, cela démontre une forme essentielle de lucidité. Beaucoup de personnes sont encore dans le déni parce que, quand on regarde ces informations de près, ce n’est pas très agréable à vivre. Le problème, c’est ce à quoi cette conscience de l’état de la planète et les récits effondristes qui l’accompagnent peuvent conduire : une forme de mauvaise « apocalypse », de vie sans avenir. La lucidité, capitale, doit être couplée à l’espérance. Nous ne sommes pas dans une situation où tout est foutu. Il y a encore des possibilités d’agir. Mais plus on attend, plus la marge de manœuvre diminue et plus les coûts du changement – individuel et collectif – sont élevés.
Quel est le profil des éco-anxieux?
Il n’y a pas de statistiques, mais ce que j’observe, c’est qu’il y a de plus en plus de personnes concernées. Ce n’est pas encore très visible, parce que les gens qui ressentent un mal-être n’ont pas forcément compris que c’était en lien avec la situation écologique. Et les psys ne sont pas toujours ouverts à ce genre d’analyse, loin de là. Mais c’est en train de changer. L’éco-anxiété s’invite de plus en plus non seulement dans les médias, mais dans les cabinets psychothérapeutiques. Dans les ateliers que je facilite, les âges sont très variés, en revanche, il y a clairement une majorité de femmes. Plus globalement, ainsi que nombre d’études le montrent, les jeunes sont de plus en plus affectés par l’éco-anxiété.
Comment est-ce qu’on fait pour soutenir ces personnes?
Si vous êtes envahi par l’angoisse, la tristesse ou l’impuissance, vous risquez de vous enfermer là-dedans, ce qui génère un processus de paralysie ou d’inertie qui bloque toute action concrète. L’objectif – en particulier dans les ateliers de transition intérieure et de «Travail qui relie», c’est d’aider les gens à reconnaître ces sentiments et de leur permettre de les exprimer, afin qu’ils découvrent que non seulement que ces émotions sont légitimes et saines et également qu’ils ne sont pas seuls à les ressentir. Ces sentiments sont des énergies qu’il s’agit ensuite de réorienter. Si vous êtes en colère, plutôt que d’en vouloir au monde entier, vous pouvez vous en servir pour agir. La meilleure thérapie, c’est l’action.
Est-ce que finalement l’écoanxiété, ce n’est pas une chance pour la planète?
Oui, cela peut être une chance si c’est un moment d’éveil qui permet de prendre conscience de la gravité de la situation et de commencer à s’engager. Il ne faut pas que cela conduise à la démobilisation ou à un certain cynisme parce qu’on se dit que, de toute façon, c’est «cuit». Il s’agit de s’en servir comme un moteur positif pour remettre en question nos modes de vie et faire émerger de nouveaux possibles.