Jean-Marie Pelt:
Héros d’éco-humanité
Écospiritualité
Jean-Marie Pelt est né au ciel il y a dix ans, jour pour le jour, le 23 décembre 2015. Il avait 82 ans. Botaniste, grand amoureux de la nature et chrétien engagé, il fut jusqu’à son dernier souffle un ardent défenseur de la Création. Phare de l’écospiritualité, il aura été, à sa manière, l’un des «héros d’humanité» qu’il a célébrés dans un de ses derniers ouvrage. L’anniversaire de sa mort est l’occasion de rappeler l’actualité de ce qu’il a semé et légué.
Jean-Marie Pelt évoquait avec humour les presque 10 000 de kilomètres – «pas terribles en termes de bilan carbone» – qu’il parcourait chaque mois pour intervenir aux quatre coins de l’Hexagone, et même au-delà. Jusqu’à ce que les problèmes de santé l’immobilisent, il aura mis l’extraordinaire charisme de sa parole au service de la défense du vivant. A travers des conférences, mais aussi la publication de nombreux livres (une soixantaine!), une grande présence médiatique et des prises de position publiques. Il insistait de plus en plus sur le fait que l’humanité se trouve à «un tournant capital» et sur la nécessité urgente d’un réveil, d’un changement de paradigme permettant de «restaurer le lien, aujourd’hui perverti, avec la nature».
Besoin d’une nouvelle sensibilité
D’une grande profondeur spirituelle, il savait aussi l’importance du champ politique. A cet égard, il fut parmi les premiers à dénoncer les dangers de l’amiante et des OGM. De 1970 à 1983, il avait été premier adjoint du maire de Metz, contribuant à faire de cette cité «le laboratoire d’une ville-jardin plus juste et harmonieuse» (hommage de Dominique Gros, actuel maire de Metz). Il y avait créé l’Institut européen d’écologie.
Après Fushima, il soulignait les aberrations du nucléaire, symbole de l’orgueil de l’être humain qui se prend pour Dieu. En 2015, dans l’hebdomadaire suisse L’Hebdo où il commentait les résultats de la COP21, il brisait une lance en faveur d’un «droit international d’ingérence écologique». Loin de mépriser ce genre de grand-messes onusiennes, il en relevait cependant l’insuffisance. «Il faut aller plus profond, me disait-il. Le problème gît dans notre cœur. C’est une affaire de conscience. Nous avons besoin d’une nouvelle sensibilité envers la nature. Cessons de tuer la terre pour nourrir l’humanité!»
Jean-Marie était l’un des compagnons de route de Trilogies. Je l’avais rencontré la première fois en novembre 2011 à Saint-Etienne, où je m’étais retrouvé à ses côtés pour la table ronde d’ouverture des premières Assises chrétiennes de l’écologie. Impressionné par sa stature, je me sentais tout petit, dans tous les sens du terme, mais – par la place qu’il m’a donnée et la qualité de notre dialogue – j’ai tout de suite pu mesurer la simplicité, la générosité d’âme et la grande bonté de cet homme préservé des travers de la célébrité. Nous nous sommes revus plusieurs fois, avant tout grâce à Terre du Ciel dont il était l’une des figures de proue. Nous partagions le même constant des insuffisances de l’écologie extérieure et la conviction de la nécessité d’une «écospiritualité». Ce que lui appelait «méta-écologie».
Cette «méta-écologie» intégrera nécessairement la puissance spirituelle de l’homme, seule capable d’assurer la paix dans la nature et parmi les hommes. […] Oublier que l’homme est doué de potentialités spirituelles pour le réduire à ses seules dimensions «naturelles», économiques et sociales est une erreur absolue. Une erreur et une horreur. Une nouvelle éthique s’impose, celle de cette écologie spiritualiste, de cette méta-écologie, seule voie ouverte sur le futur, qui intègre aux acquis des grands courants religieux et spirituels ceux plus récents de l’écologie.
Au fond de mon jardin, Fayard, 1992.
Sobriété et émerveillement
Cet été, il était intarissable sur la joie que lui avait apportée la publication de Laudato Si, l’encyclique du pape François, la première entièrement dédiée à l’écologie. Une «révolution» réconfortante pour lui qui, en tant que militant chrétien de la sauvegarde de la Création, s’était toujours senti à la périphérie de l’Eglise. D’une certaine manière, le pape – l’«une des rares grandes voix de l’humanité à s’élever aujourd’hui dans notre monde troublé» – confirmait ce qu’il avait toujours dit, prophétiquement aux côtés de quelques rares figures comme Jean Bastaire. Il visait juste en appelant à sortir du consumérisme pour embrasser la «sobriété heureuse» chère à Pierre Rabhi.
On m’a demandé quelle était la passion de ma vie, si c’était par exemple la botanique. Non! La passion de ma vie, c’est Dieu. Tout ce que je vis est sous sa lumière et j’ai le sentiment qu’il m’a fait naître à la liberté.
La Croix, 13 novembre 2001
Comme saint Bernard, qu’il se plaisait à citer, Jean-Marie affirmait qu’il avait plus appris des arbres et des plantes que des livres. Il les abordait avec un respect, une admiration et une humilité infinis. Alors que je m’approchais de lui pour le saluer lors du festival de l’Ecofestival de Chardenoux (juin 2013), il me dit: «Un petit instant, permettez que je termine ma conversation si agréable avec cette petite fleur de la famille des violacées, dont la présence met mon cœur en joie». Il était comme un enfant, émerveillé. «Don de Dieu», la Terre était notre «maison commune» et notre «mère sublime», dont il glorifiait la beauté et la diversité.
Vers une «civilisation de l’amour»
Jean-Marie revenait toujours sur l’interdépendance entre la nature et l’être humain, notre communauté d’être, de vie et de destin avec toutes les créatures. D’où le besoin impérieux d’établir avec elles des relations non seulement équilibrées, mais intimes et tissées d’affection. Car, pour lui, les «autres qu’humains» étaient doués d’une intelligence, d’une grande sensibilité et d’une mémoire s’étendant sur quatre générations. Contrairement à la vision de Darwin centrée sur la loi de la jungle, leurs relations n’étaient pas que de compétition et de prédation, mais plus encore de coopération et d’alliance, de complémentarité et d’entraide. Les plantes constituent en ce sens des exemples dont les humains feraient bien de s’inspirer.
Sous terre, un vaste réseau de filaments de champignons, digne d’Internet, relie les végétaux entre eux et offre un système de partage de nourriture très élaboré, tout naturellement, des plus nantis vers les plus démunis. Certains grands arbres alimentent sous leur ombrage des herbes qu’ils privent de lumière. Et il existe une forme de solidarité familiale chez les végétaux: certaines plantes parentes limitent la croissance de leurs racines pour ne pas empiéter sur celles de leurs sœurs. D’autres ont même la délicatesse d’adapter leur feuillage afin d’éviter de faire de l’ombre aux membres de leur famille!
La Vie, 15 juin 2015
Jean-Marie Pelt croyait en la possibilité d’une «civilisation de l’amour», selon l’expression du pape Paul VI. Les effondrements en cours étaient, paradoxalement, une chance pour un tel avènement. Le temps était venu de mettre en pratique la parole du Christ, dont il se sentait si proche: « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.» Quand on lui rétorquait que, depuis 2000 ans, cela n’avait pas vraiment marché, il répondait: «Mais on n’a jamais essayé pour de bon!»