Jean-Marie Pelt:
«On m’a parfois comparé à un arbre»

Il manquait une présentation de l’œuvre et de la vie de Jean-Marie Pelt. L’écobiographie de Claude Evrard vient combler cette lacune. Elle reprend comme titre une citation de l’écologiste: «On m’a parfois comparé à un arbre.» Cette métaphore convient bien à cet homme protéiforme et fécond. Elle permet, en la filant, de structurer les différentes dimensions d’un «écologiste spontané et prématuré, lucide et passionné», ainsi que le qualifie Edgar Morin dans la préface.

Racines : la foi et la science

D’abord, les racines. Elles sont doubles : la foi et la science. Pelt fait partie de la famille des scientifiques croyants, aux côtés de Teilhard de Chardin, Théodore Monod, Trinh Xuan Thuan, Bernard d’Espagnat et bien d’autres. Il est resté fidèle au christianisme de son enfance. Il l’a vécu de manière mystique, non dogmatique, œcuménique et ouvert aux autres traditions de sagesse. Avec un regard critique sur l’Eglise comme institution.

La foi a constitué une source d’espérance face à la souffrance qu’il ressentait «en voyant l’état du monde». Elle lui a été d’un grand secours pour traverser une profonde dépression entre 1978 et 1982. Il a fallu, pour en sortir, ce qu’il a appelé une «apocalypse personnelle»: une visitation divine – fulgurante et d’une «puissance surhumaine» – le remet debout et l’envahit d’un sentiment infini de joie, de paix et d’amour. Il connaîtra d’autres moments où, frôlant la mort (anévrisme, accident de voiture, embolie pulmonaire), il vivra de nouvelles expériences spirituelles intenses. Des formes de révélation qui le changent profondément, en «le débarrassant de toute peur de la mort et en lui donnant la certitude de la résurrection et du bonheur éternel». Pour l’auteur de Heureux les simples (Flammarion, 2011), livre sur la sainteté, chaque être est «un autographe de Dieu», avec sa petite étincelle d’éternité à diffuser autour de lui.

Dans les périodes de grandes détresses émerge mystérieusement quelque chose de neuf et d’inconnu qui est de l’ordre de la vie éternelle. À chaque mort succède une résurrection.

Dieu en son jardin, Desclée de Brouwer, 2004.

Conférence au 7e Ecofestival de Chardenoux, Terre du Ciel, 22-23 juin 2013.

Ensuite, la science. Dès le début de ses études, elle devient «une vocation et une passion». Agrégé en pharmacie, il va en particulier s’intéresser aux plantes qui soignent. Chercheur féru de botanique et d’ethnopharmacologie, il effectue de nombreux voyages scientifiques aux quatre coins du monde, où il se laisse initier par les peuples qui en ont développé des usages locaux. Pour lui, les sorciers, les guérisseurs et autres tradipraticiens «illustrent la première étape de l’histoire de la médecine et des médicaments». Et d'ajouter: «La nature, dans la multiplicité des espèces, contient ce qui guérit.»

A l’instar de Teilhard de Chardin, grande source d’inspiration, Jean-Marie n’a eu de cesse de conjuguer, entremêler et articuler la science et la foi. Si les deux ne s'excluent pas, elles n’en représentent pas moins deux régimes de connaissance qui ne font pas appel aux mêmes moyens et ne répondent pas aux mêmes questions. «La religion et les grands mythes traitent du "pourquoi", de la question du sens. La science nous explique le "comment" des choses, comment fonctionne la nature.» D’où une réfutation du créationnisme: «La Bible est porteuse de sens, non de science.»

J’entrai avec enthousiasme dans cette vision grandiose de Teilhard de Chardin, à travers laquelle l’évolution du Cosmos, de la matière à la vie, puis de la vie à l’esprit, aboutit à l’Homme; l’Homme qui, à son tour, prenant conscience de la famille humaine toute entière rassemblée, se porte d’un seul élan vers le Divin.

Le Jardin de l’âme, Fayard, 1998.

Tronc : l’écospiritualité

A partir de ces racines s’élève le tronc de l’arbre peltien: la «méta-écologie» ou écospiritualité. L’enjeu est d’«apporter un élément de verticalité et de transcendance à l’écologie» en intégrant les apports non seulement des religions, mais aussi des spiritualités laïques, c’est-à-dire «les valeurs morales et sociétales, tout ce qui fait tenir ensemble une communauté humaine». Une telle éthique recouvre un certain nombre de principes qu’on retrouve dans nombre de traditions de sagesse, ains qu’il le montre dans Nature et spiritualité (Fayard, 2008): la conscience aiguë de notre interdépendance avec le reste de la création, la «renaturation» de l’être humain, la responsabilité, la promotion de la sobriété en réponse à la démesure dont témoignent «notre hyperconsommation de biens» et «le vertige prométhéen qui saisit le monde de la technologie aujourd’hui».

Dans cette perspective, Jean-Marie s’est réjoui de l’encyclique Laudato si’: une «formidable session de rattrapage» pour des chrétiens «à la traîne sur les questions écologiques» ainsi qu’un «un tournant dans la théologie de la Création». Evrard évoque la rencontre avec Michel Maxime Egger lors d’une table ronde aux premières Assises chrétiennes de l’écologie, à Saint-Étienne en 2011, ainsi que leur rapprochement autour du «sens du sacré» et du panenthéisme. L’écobiographe commet à cet égard une erreur (p. 126) en parlant de panthéisme («tout est Dieu, Dieu est tout »), qui est précisément à ne pas confondre avec le panenthéisme («tout en Dieu, Dieu en tout).

Branches : la politique et l’écologie

Ce tronc donne naissance aux branches de l’engagement. Dès le temps de ses études Jean-Marie Pelt «va s’investir passionnément dans la politique», importante pour «transformer ses idées en actions, pour le plus grand bénéfice de la cité».

Il sera ainsi un écologiste européen transversal, terrien et centriste, car la défense du vivant, au même titre que les droits humains et les causes humanitaires, est universelle. Elle ne saurait être ni de droite, ni de gauche. En revanche, elle ne peut être qu’européaniste. La nature, effet, ne connaît pas de frontières et n’a que faire des luttes d’intérêt et des guerres qui les ont créées. Indispensable à une sauvegarde de la création digne de ce nom, «la construction européenne ne saurait être qu’une étape sur le chemin de la planétarisation nécessaire des projets et des décisions». Jusqu’à la fin de ses jours, Jean-Marie plaidera pour un gouvernement mondial, le seul en mesure de répondre aux dégradations écosystémiques.

Serge Steyer, «Pelt, le rêveur éveillé», 2003

La sensibilité européenne lui vient de la zone frontière de son département (Moselle) et surtout de la rencontre décisive, en 1956, avec Robert Schuman, «père de l’Europe» et pionnier de la réconciliation entre l’Allemagne et la France. Un homme d’Etat atypique, simple, humble et chrétien, qui vivait dans une sobriété volontaire et allait devenir son ami et même, selon ses propres mots, comme son «second grand-père». Cette sensibilité européenne s’incarne quand Jean-Marie rejoint le Mouvement républicain populaire (MRP), un parti démocrate-chrétien qui se veut une troisième voie entre le gaullisme et le communisme. Il s’y donne corps et âme: «Militant, je l’étais jusqu’au bout des ongles.» Il sera élu et deviendra adjoint du maire de Metz.

Evrard définit Pelt comme un «lanceur d’alerte». Il s’est très tôt engagé sur tous les fronts: les méfaits de l’amiante, les pesticides, les organismes génétiquement modifiés (OGM), l’érosion de la biodiversité, les pollutions, le brevetage du vivant, la biopiraterie, les dangers du nucléaire. Pour faire face à ces problèmes, conscient des impasses du solutionnisme et soucieux des dimensions intérieures des réponses à apporter, il invite à s’inspirer du vivant. Bien avant des auteurs à succès comme Pablo Servigne et Gauthier Chapelle (L’entraide. L’autre loi de la jungle, Les liens qui libèrent, 2017), il a démontré comment «la coopération – ou symbiose ou mutualisme ou commensalisme – est une force puissante de l’univers et de la vie en particulier». Des principes qui résonnent avec les valeurs chrétiennes de compassion, bonté et miséricorde.

Pelt, dans cette optique, souligne le rôle clé de l’éducation et de l’initiation des petits et des jeunes aux mystères de la nature. «Avant que d’y mettre des ordinateurs, mettons des jardins et des potagers à côté des maternelles!»

On ne manquera pas de rappeler aux élèves cette vérité première de la botanique, que les plantes sont sur la Terre depuis 450 millions d’années et qu’elles peuvent allégrement se passer de nous, mais qu’en revanche nous serions bien incapables de nous passer d’elles aussi bien pour nous nourrir que pour nous guérir. Aussi s’impose cette vérité première dans notre propre histoire: la nature nous précède et nous accompagne, la découverte du vivant se doit de précéder celle des technologies qu’il est toujours temps d’acquérir, tandis que les liens intimes qui nous relient à la nature et à la vie doivent s’acquérir, en quelque sorte, dès le berceau, c’est-à-dire dès la maternelle.

In Edgar Morin (dir.), Relier les connaissances. Le défi du XXIe siècle, Seuil, 1999.

Fruits: la recherche et la vulgarisation

Nombre de fleurs et de fruits vont éclore de ces engagements. En matière de recherche transdisciplinaire, Jean-Marie crée en 1971 l’Institut européen d’écologie (IEE), avec pour objectif de «promouvoir et de développer toute initiative visant à l’amélioration de la qualité de la vie, de l’environnement et des rapports entre les hommes, les groupes, les sociétés et la nature». Dans le domaine de la politique écologique, il contribue à la transformation de Metz en «ville-jardin». Conférencier hors pair, vulgarisateur remarquable des savoirs scientifiques, il publie plus de soixante ouvrages et participe à de nombreuses émissions TV et radio, dont la célèbre Aventure des plantes (TF1, 1982).

Biographie : un être solaire et vulnérable

Le livre d’Evrard est une mine d’informations et d’anecdotes sur la vie de Pelt. Il raconte sa naissance quasi miraculeuse, rapporté avec humour par Jean-Marie lui-même, son premier son n’étant pas des pleurs, mais un pet : «Le souffle de vie dont parle la Bible s’était apparemment trompé de sens…». On découvre son enfance dans le village de Rodemack, son bonheur de grandir dans le jardin de son grand-père adoré, l’exil dans l’Allier pendant la guerre où il garde les vaches, fait l’expérience de la solidarité paysanne et d’une vie très rustique sans téléphone ni électricité, puis les études de pharmacie.

Plein de bienveillance et d’admiration, le biographe veille à ne pas tomber dans l’hagiographie. Il relève les critiques que lui ont valu ses enthousiasmes pour l’astrologie, l’homéopathie, la mémoire de l’eau, la biodynamie et la génodique (effets de la musique sur les organismes vivants). Psychologue clinicien, il ne cache rien non plus de ses fragilités psychiques comme «une vive allergie à toutes les formes d’abandon, une claustrophobie tenace et une inclination à la dépression», héritée de la famille. Pelt lui-même l’aide, qui était très conscient de sa vulnérabilité:

Ainsi se dessinèrent dès ma petite enfance les faiblesses auxquelles j’aurais à me coltiner toute mon existence durant: un tempérament coléreux, volontaire, têtu et tenace, mais pourtant sans rancœur et prompt au pardon; et une fâcheuse inaptitude à tout bricolage manuel, ce qui me rend particulièrement laborieuse la fréquentation du monde des nouvelles technologies.

Le Jardin de l’âme, Fayard, 1998.

Il n’aura ainsi pas de téléphone portable. «Je me console en m’efforçant de développer les quelques dons qui m’ont été confiés, renonçant avec bonhomie à savoir faire ce que tout le monde sait faire, pour m’efforcer de bien… faire le reste!»

Tout cela, et sans doute est-ce le plus important, ne l’empêchait d’être «un rayon de soleil», ainsi que l’écrit Edgar Morin, «ébloui par sa bonté candide et sereine». Evrard reconnaît s’être lui-même « attaché au Pelt “grand-père”: proche de la nature, conteur d’histoires, contemplatif, doux et bienveillant. En somme, l’archétype de l’aïeul qu’il était parvenu à incarner, après bien des périples, en s’inspirant du précieux grand-père de son enfance».

Renaud Evrard, On m’a parfois comparé à un arbre. Ecobiographie de Jean-Marie Pelt, Editions de l’Université de Lorraine, 2023, prix Emile Gallé 2025.

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