Sur la Terre comme au Ciel
ParcoursAuteur, écothéologien, ancien journaliste et lobbyiste, Michel Maxime Egger s’est employé toute sa vie, en apprenti méditant-militant, à articuler une dimension (éco) spirituelle centrée sur la transformation de soi à une autre, (éco) citoyenne, axée sur l’engagement pour la transformation du monde. Portrait.

A Vevey, au petit matin, terre et ciel semblent fusionner pour ne faire plus qu’un. Le visiteur est immergé dans un paysage hodlérien. Le Mont-Blanc, en robe bleu-violet, se dresse au-dessus des eaux du lac, aux tonalités jaunes-orangées, qui font écho à celles du ciel. C’est là, sur les hauteurs de cette cité du canton de Vaud (Suisse), que vit Michel Maxime Egger. Là que nous le rencontrons, yeux rieurs, poignée de main et sourire chaleureux.
L’homme a publié, en octobre dernier, A l’écoute de la Création. Pour changer notre regard sur la nature (Cabedita). Au printemps prochain sortira un livre sur l’écoféminisme, Gaïa et Dieu.e. Un écoféminisme chrétien est possible, qu’il a écrit avec Charlotte Luyckx (Editions de l’Atelier). Parmi de nombreuses autres conférences et ateliers, il coanimera, du 2 au 6 avril, une retraite écospirituelle au Châtelard (Francheville, près de Lyon) sur le thème : «Voix humaines, voix de la Terre». Un agenda et une activité chargés pour un jeune retraité.
Changement de paradigme
Deux mots un peu mystérieux émergent de ses écrits et de ses conférences: la transition intérieure. Quesaco? «L’écologie “extérieure” est faite de gestes quotidiens, de technologies et de lois. Elle est nécessaire, mais insuffisante. L’écologie “intérieure” travaille, quant à elle, sur l’être et vise une transformation personnelle. Elle entend restaurer les liens profonds entre l’âme humaine et la nature. C’est une démarche “radicale”, au sens où elle va à la racine des problèmes», explique-t-il.
C’est par le prisme de l’écologie qu’il en est venu à explorer les liens entre transformation de soi et transformation du monde. Que faire pour maintenir la stabilité et la résilience du système terrestre, alors que six des neuf limites planétaires sont déjà dépassées? Comment sortir d’un modèle de développement qui épuise la terre et les êtres humains?
Il n’y aura pas de véritable changement sans transformation personnelle, sans changement intérieur, insiste-t-il. Les éléments qui touchent à l’écologie extérieure ne suffisent pas. Car l’enjeu n’est pas seulement d’améliorer le système existant, mais d’opérer un véritable changement de paradigme en articulant ces deux niveaux de transformation.
«Notre frénésie de consommation détruit le monde tout en nous consumant nous-mêmes. Michel Maxime Egger montre dans ses livres et conférences que cette addiction est liée à notre vide intérieur et à notre manque d’ancrage spirituel, analyse Christine Kristof, qui co-anime avec lui des stages d’écospiritualité. Il faut transformer notre cœur, notre esprit, notre façon de voir le monde. Et que cela parte du cœur de l’être», poursuit la journaliste, accompagnatrice écospirituelle et autrice.
Pèlerinage aux sources
C’est à Bienne (Suisse), en 1973, un an après le sommet de Stockholm et la publication du rapport du Club de Rome Les limites à la croissance, que le jeune homme s’éveille à la politique dans une ambiance post soixante-huitarde. Animé par une soif de connaître, de comprendre et de se relier, il suit des études de sociologie à l’Université de Neuchâtel. Avant d’entreprendre un «pèlerinage aux Sources» en Inde pendant neuf mois. Lors d’une étape au Rajasthan, au petit matin, au bord d’un plan d’eau, dans le désert du Thar, il vit une expérience spirituelle profonde. «J’ai été soudain comme submergé par une force de paix, de plénitude et de lumière. Entre le monde et moi, tout était devenu communion, amour et harmonie. Tout était un.»
Rentré en Suisse, il réfléchit aux moyens de faire fructifier cette grâce qui lui a été offerte. Il se lance alors dans le journalisme «éco-citoyen», travaille pour une agence de presse, puis pour les magazines L’Hebdo et Construire notamment. Tout en approfondissant son cheminement de transformation spirituelle, pour se libérer de l’ego et de ses boursouflures. Il commence par s’engager dans le zen, pratique d’ouverture intérieure et de dépouillement, aux côtés d’un disciple de Karlfried Graf Dürckheim. «Lors d’une session, la figure du Christ est remontée des profondeurs de mon être. Je me suis alors mis en quête d’un ancrage chrétien.»
Ses pas le conduisent ainsi vers l’Orient Chrétien. En 1988, au monastère Saint-Jean-Baptiste, dans l’Essex (Grande Bretagne), il rencontre l’Archimandrite Sophrony (1896-1993), disciple et biographe du saint starets Silouane du Mont Athos (1866-1938). Pour le moine orthodoxe qu’il côtoie, l’amour des ennemis est la pierre angulaire de l’Evangile et l’humilité le remède radical à tous les maux. «C’est cette rencontre bouleversante qui a fait que j’ai rejoint la tradition orthodoxe, tout en demeurant ouvert aux autres traditions de sagesse», pointe-t-il.
Il abandonne alors le zazen pour la prière de Jésus et crée, en 1992, les éditions le Sel de la Terre, consacrées à la spiritualité orthodoxe contemporaine. Celles-ci deviendront par la suite une collection des éditions du Cerf.
Après douze années de pratique du journalisme, désireux de ne plus être uniquement observateur, spectateur et commentateur, mais aussi acteur, il œuvre à partir de 1993, pendant plus de vingt ans, pour le développement durable et des relations Nord-Sud plus équitables. Pour une ONG protestante d’abord, Pain pour le prochain, au sein de laquelle il s’implique notamment dans la campagne suisse pour l’abolition des mines antipersonnel. Avant de rejoindre Alliance Sud, communauté de travail des grandes organisations d’entraide suisse, où il s’engage dans des actions de lobbying politique et de plaidoyer. «J’ai coordonné des dossiers sur le commerce international et les entreprises multinationales et contribué, dans ces années-là, au lancement et au rayonnement de la pétition “Droit sans frontières” qui a conduit à l’Initiative pour des multinationales responsables », explique-t-il.
Dimensions de la métamorphose
Dans les années 2000, en quête d’une forme d’engagement, alliant réflexion et praxis, il se lance dans un travail d’écriture de plusieurs ouvrages. «La Terre comme soi-même, publié en 2012 chez Labor et Fides, est un livre d’écospiritualité qui remet Dieu au cœur du Vivant. Il est présent dans le monde réel, pas uniquement au Ciel, nous rappelle -t-il. Notre culture a chassé Dieu de la Terre, rendant la destruction du Vivant et du sacré possible», résume Christine Kristof. Il a été l’un des pionniers du développement d’une écospiritualité d’enracinement chrétien.
En 2015, il publie Soigner l’esprit. Guérir la terre (Labor et Fides), un ouvrage qui fouille les différentes dimensions de l’écopsychologie, ce projet qui nous invite à réharmoniser nos relations avec la toile de la vie et à nous reconnecter en profondeur avec elle, dans la conscience que nous faisons partie d’elle et qu’elle fait partie de nous. «C’est lui qui a permis à cette discipline, beaucoup plus développée en terres anglo-saxonnes qu’en Europe continentale, de rayonner dans toute la francophonie», insiste Tylie Grosjean, formatrice, facilitatrice et éco-conseillère, qui co-anime avec l’écopsychologue Elie Wattelet et Michel Maxime Egger, des ateliers de «Travail qui Relie».
C’est avec ses deux compères belges que le Suisse a co-écrit et publié, en 2023, Reliance (Actes Sud), un manuel de transition intérieure. L’ouvrage, qui explore les dimensions culturelles, psychologiques et spirituelles de la métamorphose, comporte une première partie théorique sur les enjeux de la transition intérieure et une seconde sur les pratiques. La troisième propose, elle, des outils pour approfondir les dimensions intérieures du changement de cap.
Entre 2016 et 2023, Michel Maxime Egger s’engage, au carrefour du politique et de la spiritualité, en créant et animant le Laboratoire de transition intérieure, porté par deux ONG suisses. Quelques 14 000 personnes ont pris part à ses ateliers et conférences, et 12 000 autres à un parcours de formation en ligne proposé en collaboration avec les Colibris et le Réseau Transition belge. «Nous sommes appelés à changer nos façons de voir, de penser et nos systèmes de valeurs. Et à mobiliser toutes les dimensions de notre être, notre conscience, notre spiritualité, nos émotions et nos sens. C’est cela la transition intérieure qui doit être à la fois individuelle et collective», pointe le méditant-militant. «Pour répondre en profondeur à la gravité et à l’urgence des défis planétaires, une métanoïa individuelle et collective est incontournable.»